Comme chaque année, les poumons de la Terre sont en feu
Des pans entiers des poumons de la Terre brûlent. L’agence brésilienne de recherche spatiale INPE a recensé jusqu’à présent plus de 72 800 incendies en Amazonie brésilienne en 2019. Pour cette période de l’année, on pense que c’est un nouveau triste record.
Image d’entête : cette image satellite du 15 août 2019 montre une vue rapprochée d’un incendie au sud-ouest de Porto Velho au Brésil. (Maxar Technologies/ AP)
Avant toute chose, le Guru va se faire l’avocat du diable, en précisant que cela n’a rien de nouveau, au risque de déplaire à certains médias qui présentent la chose comme nouvelle et unique. Chaque année, la forêt amazonienne brule, le plus souvent avec une origine humaine et il y a eu des années bien pire que 2019.
Selon le Global Fire Emissions Database, un projet de recherche qui compile et analyse les données de la NASA.
Comme le précise également la NASA :
En date du 16 août 2019, les observations par satellite indiquaient que l’activité totale des feux dans le bassin amazonien était légèrement inférieure à la moyenne par rapport aux 15 dernières années. Bien que l’activité ait été supérieure à la moyenne en Amazonie et, dans une moindre mesure, en Rondônia, elle a été inférieure à la moyenne au Mato Grosso et au Pará, selon la Global Fire Emissions Database.
Le spectroradiomètre imageur à résolution modérée (MODIS) du satellite Aqua de la NASA a capté ces images de plusieurs incendies dans les États de Rondônia, Amazonas, Pará et Mato Grosso, le 13 août 2019. (NASA)
Localisation des feux. (NASA)
Le fait est que, dans un contexte de dérèglement climatique liée au CO2, ce n’est vraiment pas le moment et ne comptons pas sur les initiatives du gouvernement brésilien pour arranger les choses, bien au contraire.
Les incendies menacent les communautés indigènes, détruisent de précieux habitats fauniques et envoient de gigantesques panaches de pollution vers le ciel.
En termes d’émissions de CO2, le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) a calculé la quantité de CO2 émise par les feux amazoniens jusqu’à présent, ce mois-ci. Le 20 août, les incendies avaient déjà relâché environ 23 millions de tonnes de CO2, soit plus que lors de tout autre mois d’août précédent remontant à 2003.
Cependant, l’estimation de la quantité totale de CO2 qui sera émise en 2019 par les feux amazoniens est délicate, car elle dépend de la quantité de forêt qui a brûlé et qui continuera à brûler. Il n’y a que des estimations approximatives. Au rythme actuel, un terrain de football et demi est détruit chaque jour. En 2010, une autre mauvaise année pour les incendies en Amazonie, 64 000 kilomètres carrés ont été perdus au total.
Image satellite de la forêt tropicale en feu le 12 août. (NOAA)
Il est impossible de savoir quel sera le bilan de 2019, mais l’Amazonie est particulièrement sujette à la production de CO2 lorsqu’elle brûle, car la forêt tropicale est extrêmement dense. Environ 4 fois plus dense qu’une forêt européenne typique. La combustion émet donc beaucoup plus de CO2 par kilomètre carré.
Mais voici la partie vraiment terrifiante. En comparaison avec les émissions mondiales de CO2 provenant des combustibles fossiles, les incendies de l’Amazonie seront bien minimes. Peut-être seulement quelques pour cent du total émis cette année, même si ces incendies ont l’air énormes. Pour le cycle mondial du carbone, c’est important, mais ce n’est pas ébranlant. Mais au niveau régional, l’impact sur la qualité de l’air est énorme.
Il y a des réserves. D’une part, les arbres tués par les incendies se décomposeront, libérant encore plus de CO2 au fil des années. En général, les arbres vivants de l’Amazonie absorbent plus de CO2 que les arbres morts, mais le degré d’absorption de CO2 peut évidemment fluctuer lorsqu’un nombre particulièrement élevé d’arbres sont tués par le feu.
La forêt tropicale n’est pas seulement un endroit qui peut libérer du carbone, c’est aussi un vaste réservoir de cette substance. Le grand espoir, à la suite d’un incendie de forêt, est que les nouveaux arbres remplaceront les arbres brûlés, aspirant le CO2 au fur et à mesure qu’ils prennent vie. C’est souvent le cas et il est intéressant de noter que les jeunes arbres acquièrent du CO2 plus rapidement que les vieux arbres bien installés.
Mais si la forêt brûlée est revendiquée comme terre agricole ou pour le développement urbain, la repousse sera évidemment empêchée dans ces zones. Même celles laissées à la nature auront du pain sur la planche. Les grands incendies remplissent l’air de particules, ce qui réduit la quantité de lumière solaire qui atteint les nouveaux arbres survivants.
La photosynthèse est ainsi bloquée et les arbres absorbent moins de CO2 qu’ils ne le feraient autrement. Une récente étude révèle à quel point les incendies répétés dans les mêmes parcelles de forêt peuvent être dévastateurs pour les réserves de carbone hors sol.
Selon les chercheurs à l’origine de cette étude :
Les forêts ayant un, deux et trois incendies ou plus n’ont conservé que 54,4 %, 25,2 % et 7,6 % de la densité de carbone au-dessus du sol, respectivement, lorsqu’on les mesure après une année de repousse. En d’autres termes, plus une forêt a été ravagée par le feu, plus nous devons attendre longtemps avant qu’elle ne retire le même volume de carbone de l’atmosphère.
Et l’ampleur des incendies amazoniens de cette année signifie aussi que la forêt tropicale humide se rapproche de plus en plus d’un » point de basculement biophysique « , selon Jim Randerson de l’université de Californie à Irvine. Au fur et à mesure que la forêt se rétrécit, les précipitations totales diminuent, ce qui peut déclencher une spirale descendante de déclin de la croissance des plantes.
Une fois que les précipitations auront diminué, il sera difficile pour les forêts de repousser, même si nous avons des politiques en place pour permettre le reboisement. De nombreuses simulations de modélisation suggèrent que nous[nous] approchons de ce point de basculement.
La forêt amazonienne fait partie, comme tant d’autres choses sur notre planète, d’un système interconnecté. Les incendies de 2019 sont dévastateurs. Même s’ils n’éclipsent pas en soi les émissions anthropiques (de l’humain) de CO2, la déforestation engendre la déforestation et finit par affaiblir la capacité de l’Amazonie à stocker le carbone.
A partir du Global Fire Emissions Database, de l’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais, de Reuters : Igniting global outrage, Brazil’s Bolsonaro baselessly blames NGOs for Amazon fires, de la NASA : Fires in Brazil.