Les “réseaux sociaux” des chasseurs-cueilleurs ont accéléré notre évolution
Au fil du temps, l’évolution a doté les humains de cerveaux plus gros et plus performants, mais une étude sur les chasseurs-cueilleurs Aetas aux Philippines, suggère que la façon dont nos sociétés sont structurées pourrait être tout aussi importante pour stimuler l’innovation et les révolutions technologiques.
Image d’entête : un chasseur-cueilleur Aetas transformant des plantes en médicaments. (Rodolph Schlaepfer/ Université de Zurich)
Les humains sont très mobiles et échangent des matériaux et des savoir-faire technologiques depuis au moins le Middle Stone Age (ou Paléolithique moyen). Au Kenya, par exemple, des humains ont parcouru jusqu’à 50 kilomètres pour se procurer des pigments et de l’obsidienne pour la fabrication d’outils.
L’anthropologue Andrea Migliano, de l’université de Zurich, en Suisse, et ses collègues ont voulu savoir si la structure sociale de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs les a préparés au progrès culturel.
Pendant un mois, ils ont utilisé des capteurs sans fil pour mesurer les interactions entre les membres de deux communautés Aetas, une communauté forestière et une communauté côtière, sur l’île de Luçon aux Philippines.
Comme d’autres sociétés de chasseurs-cueilleurs, la société Aetas a de multiples niveaux d’organisation. Les individus appartiennent à des ménages. Ces foyers se combinent pour former de petits camps, et plusieurs camps en interaction constituent une communauté plus large.
Les individus interagissent de préférence avec des amis proches ou de la famille et ne transmettent les innovations qu’aux proches parents.
Armés de ces informations, Migliano et son équipe ont créé un programme informatique pour simuler la manière dont une communauté transmet des connaissances et trouve de nouvelles idées. Dans les simulations, les individus ont partagé entre eux des ensembles de trois plantes médicinales, améliorant progressivement les formulations finales des médicaments.
Ces améliorations progressives dans deux groupes distincts pouvaient être amplifiées lorsque ces groupes se réunissaient, créant ainsi un médicament supérieur à l’un ou l’autre produit par les deux groupes.
En utilisant les données d’interaction des Aetas, ce saut technologique s’est produit après 177 cycles d’interaction dans la communauté forestière et 516 cycles dans la communauté côtière.
Si les simulations étaient effectuées avec des individus partageant immédiatement leurs innovations avec tous les autres membres du groupe, l’innovation prenait plus de temps, plus de 500 tours pour le groupe forestier, et près de 700 tours pour le groupe côtier.
Image tirée de l’étude : dans leur simulation, les agents devaient trouver des innovations successives en combinant des plantes médicinales virtuelles. On leur a donné un premier ensemble de six plantes médicinales, qui pouvaient être combinées en trois groupes pour générer de nouveaux médicaments (A1, A2, A3, B1, B2 et B3) de valeur médicinale croissante. Au quatrième niveau d’innovation, un croisement des trajectoires A et B produit les deux médicaments avec la plus grande efficacité (croisements 1 et 2). L’expérience virtuelle s’est terminée lorsqu’un croisement a été trouvé. La figure et la simulation ont été adaptées de (10). (Migliano et coll./ Science)
La conclusion selon laquelle des liens moins étroits sont meilleurs est contre-intuitive.
Selon l’anthropologue Lucio Vinicius de l’université de Zürich, auteur principal de l’étude :
Le bon sens voudrait qu’un réseau entièrement connecté, ou un marché culturel ouvert où chacun peut instantanément copier les nouvelles découvertes, accélère les révolutions technologiques.
Mais ce n’est pas ce qu’a révélé l’étude.
Toujours selon Vinicius :
La circulation illimitée de l’information élimine la diversité culturelle.
À long terme, ajoute-t-il, cela entrave le progrès.
En plus de nous aider à comprendre pourquoi nos ancêtres ont connu un tel succès, l’étude pourrait avoir des implications pour le monde moderne, connecté numériquement, dans lequel nous vivons. Savoir ce que font les autres peut être préjudiciable au progrès. Si nous pouvons voir ce que font les autres, nous obtenons des idées qui sont peut-être meilleures que les nôtres. Mais si nous donnons à nos idées un peu de temps pour se développer et s’épanouir, elles pourraient déboucher sur des solutions sur lesquelles d’autres pourront s’appuyer pour en faire des idées encore meilleures plus tard.
L’étude publiée dans Science Advances : Hunter-gatherer multilevel sociality accelerates cumulative cultural evolution et présentée sur le site de l’université de Zurich : Hunter-Gatherer Networks Accelerated Human Evolution.