La douleur chez les pieuvres n’est pas seulement physique, elle est aussi émotionnelle
Des recherches suggèrent que la douleur des pieuvres n’est pas seulement basée sur une réaction physique, mais aussi sur leur réaction émotionnelle.
Image d’entête : une pieuvre Octopus bocki, la même utilisé dans ces expèriences sur la douleur chez les invertébrés. (Arthur Anker)
Une étude récente précise que ces animaux sont susceptibles de ressentir et de réagir à la douleur de la même manière que les mammifères. Il s’agit de la première preuve solide de cette capacité chez des invertébrés.
La sensation de douleur est bien plus qu’un simple réflexe face à des stimuli dangereux ou des blessures. Il s’agit plutôt d’un état émotionnel à multiples facettes qui conduit soit à la souffrance, soit au stress.
Alors que les vertébrés sont perçus comme ressentant à la fois les aspects émotionnels et physiques de la douleur en général, il reste à déterminer si les invertébrés, caractérisés comme ayant des systèmes nerveux beaucoup plus simples, ont la même capacité.
Les pieuvres sont essentiellement considérées comme les invertébrés les plus complexes de la planète sur le plan neurologique, et pourtant, étonnamment, peu d’études se sont concentrées sur leur potentiel à ressentir la douleur.
Robyn Crook, neurobiologiste de l’université d’État de San Francisco (Etats-Unis), qui explore cette question depuis des années, a récemment utilisé des protocoles, habituellement visant à examiner la douleur chez les souris de laboratoire, sur des céphalopodes, en particulier la pieuvre (Octopus bocki).
Grâce à l’utilisation de mesures détaillées des comportements spontanés, ainsi que de l’activité neurale associée à la douleur, Crook a découvert trois sources de preuves, qui indiquent toutes que les animaux ont la capacité de ressentir des états émotionnels négatifs lorsqu’ils ressentent une douleur.
Il s’agit de caractéristiques similaires à celles des mammifères, même si le système nerveux de ces dits invertébrés est organisé sensiblement différemment de celui des vertébrés.
De précédentes recherches menées par Crook et d’autres chercheurs ont montré que les poulpes sont capables de réagir par réflexe à des stimuli délétères, apprenant ainsi à éviter les milieux nocifs.
Cette étude en particulier va beaucoup plus loin. Les pieuvres qui ont reçu une injection d’acide acétique dans un bras après une séance d’entraînement dans une boîte à trois chambres ont clairement évité la chambre dans laquelle elles ont reçu cette injection. En revanche, celles qui ont reçu une solution saline non nocive n’ont pas évité la chambre dans laquelle elles l’ont reçue.
En outre, lorsque les invertébrés auxquels on avait injecté une injection douloureuse recevaient ensuite un analgésique appelé lidocaïne, ils avaient tendance à opter pour la chambre dans laquelle ils ressentaient un soulagement instantané de la douleur.
A partir de l’étude : images présentant la pieuvre dans la chambre de départ, le dispositif expérimental et la chronologie de l’expérience présentant les séquences pour les différentes procédures. (Robyn J.Crook/ iScience)
Celles qui n’avaient reçu qu’une solution saline ne se souciaient guère de la chambre dans laquelle on leur administrait un analgésique.
Cette préférence pour un lieu sans danger a été considérée comme une preuve solide de l’expérience affective de la douleur chez les vertébrés. Ce n’était pas non plus le seul parallèle.
Dans leur étude, Crook a également découvert des preuves que les pieuvres ont la capacité de distinguer les différentes qualités et intensités de la douleur dans différentes zones de leur corps.
Toutes les pieuvres de l’étude qui ont reçu une injection d’acide présentaient des comportements de toilettage à l’endroit de l’injection pendant toute la durée de l’essai de 20 minutes, en retirant une petite partie de leur peau avec leur bec.
Le résumé graphique de l’étude. (Robyn J.Crook/ iScience)
Ces expériences diffèrent d’autres recherches sur les réactions de douleur périphérique, où les pieuvres avaient les bras soit coupés soit écrasés et montre que l’injection d’acide génère une sorte de réaction centralisée.
Chez les mammifères, la douleur constante est le résultat d’une activité soutenue dans la périphérie, qui déclenche ensuite des changements à long terme, soit dans la moelle épinière, soit dans le cerveau.
L’étude précise également que les céphalopodes dépendent beaucoup de leur système nerveux périphérique, et il n’est pas clair si la quantité d’informations qu’ils reçoivent se dirige vers leurs circuits centraux.
L’étude publiée dans iScience : Behavioral and neurophysiological evidence suggests affective pain experience in octopus et présentée sur le site de Robyn Crook, le Crook Laboratory : Pain in cephalopods : What evidence do we have?