La réussite de l’accord de Paris pourrait réduire de moitié la perte de glace d’ici 2100… Sinon, le niveau de la mer pourrait s’élever de 10 mètres
Selon deux études publiées cette semaine (lien plus bas), limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C permettrait de réduire de moitié la perte de glace terrestre de l’Antarctique d’ici la fin du siècle, mais le maintien des émissions actuelles, qui devraient faire augmenter les températures mondiales de 3 °C d’ici 2100, accélérera la perte de la calotte glaciaire et l’élévation du niveau de la mer au-delà d’un point de non-retour d’ici 2060.
Image d’entête : icebergs dans le fjord de Sermilik, au sud-est du Groenland. (Donald Slater)
L’accord de Paris est un accord international entre 197 nations visant à limiter à 2°C le réchauffement de la planète au cours de ce siècle, tandis qu’un objectif plus ambitieux de 1,5°C est considéré comme le résultat préféré, mais peut-être moins réaliste.
En deçà de ces deux objectifs, les émissions actuelles de combustibles fossiles ont mis la planète sur la voie d’un réchauffement de 3°C au cours du siècle, ce qui augmente considérablement le taux de perte de glace au fil du temps.
Les nouvelles projections sont présentées dans deux études distinctes. Dans la première, Tamsin Edwards, du Kings College de Londres (KCL), et ses collègues ont utilisé une approche statistique et informatiquement efficace pour prévoir la contribution des glaciers et de la calotte glaciaire à l’élévation du niveau de la mer dans le cadre d’une série de scénarios.
Cette animation présente la vitesse à laquelle l’épaisseur de la glace change en mètres par an (plus de rouge/jaune signifie un amincissement plus rapide et donc une perte de glace plus rapide) alors que la calotte glaciaire de l’Antarctique réagit aux changements dans l’atmosphère et l’océan dus à un scénario climatique potentiel. Cette simulation, utilisant le modèle d’inlandsis BISICLES, représente l’une des centaines de simulations de ce type utilisées pour cette étude afin de caractériser la réponse de l’inlandsis aux changements climatiques. (Daniel Martin et Courtney Shafer)
Ils ont constaté que si le réchauffement était limité à 1,5 °C, la contribution de la glace terrestre au niveau des mers pourrait être réduite de moitié d’ici 2100, ce qui limiterait l’élévation du niveau des mers à 13 centimètres, au lieu des 25 centimètres prévus actuellement. Toutefois, ils ont également constaté que, dans le pire des scénarios de réchauffement actuel, la perte de glace de l’Antarctique pourrait être 5 fois plus importante, ajoutant 42 centimètres au niveau de la mer si rien n’est fait pour réduire les émissions de CO2.
Le glacier d’Helheim de l’inlandsis du Groenland. (Knut Christianson)
Dans la seconde étude, Robert DeConto, de l’université du Massachusetts à Amherst (États-Unis), et ses collègues ont constaté qu’en limitant le réchauffement à l’objectif alternatif de 2°C fixé par l’accord de Paris, la perte de glace de l’Antarctique resterait constante au rythme actuel.
De manière alarmante, l’équipe a également constaté qu’avec un réchauffement de 3°C, soit le taux d’émissions actuel, l’élévation du niveau de la mer commencera à s’intensifier de manière spectaculaire d’ici 2060, au-delà de quoi les conséquences seraient « irréversibles à l’échelle de plusieurs siècles ».
Selon les chercheurs dans leur étude :
Ces résultats démontrent la possibilité d’une élévation catastrophique et inéluctable du niveau de la mer en Antarctique si les objectifs de température de l’accord de Paris sont dépassés.
Les conséquences sont encore plus graves à plus long terme : selon DeConto et ses collègues, l’Antarctique contribuera à une élévation du niveau de la mer d’un mètre d’ici 2300 si le réchauffement est limité à 2°C ou moins, mais si nous ne parvenons pas à atténuer les émissions, l’Antarctique pourrait contribuer à une élévation de 10 mètres ou plus au cours des 300 prochaines années, ce qui entraînerait des changements catastrophiques pour les populations côtières du monde entier.
Selon coauteur de l’étude Daniel M. Gilford de l’université Rutgers du Nouveau-Brunswick (Canada) :
L’effondrement de la calotte glaciaire est irréversible sur des milliers d’années, et si la calotte glaciaire de l’Antarctique devient instable, elle pourrait continuer à reculer pendant des siècles. Et ce, indépendamment de l’application de stratégies d’atténuation des émissions telles que l’élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère.
DeConto et ses collègues ont également détaillé l’architecture unique de la calotte glaciaire de l’Antarctique qui la rend particulièrement vulnérable à la hausse des températures. La calotte glaciaire s’écoule vers le bas à un rythme lent, et se glisse dans l’océan où elle fond. Actuellement, la calotte glaciaire est soutenue par un anneau de plateaux de glace qui raclent lentement le fond marin peu profond, retenant la glace en amont comme un barrage naturel.
À mesure que le réchauffement s’accentue, ces plates-formes deviennent plus minces et plus fragiles, pour finalement se désintégrer et libérer une « marée » de glace, accélérant ainsi la montée du niveau de la mer. Cet effet est déjà observable au Groenland aujourd’hui, mais ne s’est pas encore manifesté en Antarctique.
Les résultats de ces deux études soulignent qu’il est essentiel de déployer des efforts énergiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter les effets les plus néfastes du changement climatique et de la disparition des calottes glaciaires.
Mais adhérer à des objectifs stricts peut se révéler problématique lorsque les impacts semblent psychologiquement éloignés, que ce soit géographiquement ou temporellement. Il est prouvé que le changement de comportement, à l’échelle individuelle et collective, est moins probable lorsque cette distance psychologique par rapport au problème entre en jeu.
La première étude publiée dans Nature : Projected land ice contributions to twenty-first-century sea level rise et présentée sur le site du King’s College de Londres : Limit global warming to 1.5°C and halve the land ice contribution to sea level this century.
La seconde également publiée dans Nature : The Paris Climate Agreement and future sea-level rise from Antarctica et présentée sur le site de l’Université du Massachusetts à Amherst : New Modeling of the Antarctic Ice Sheet Shows Rapid and Unstoppable Sea Level Rise if Paris Agreement Targets Overshot.
Il serait bon de rajouter dans le titre, à la fin : ou plus au cours des 300 prochaines années ; il y a en effet deux choses importantes à retenir, le « ou plus [de 10 mètres] » et les « 300 prochaines années », cela permet de relativiser mais aussi de montrer ce que risquent nos descendants dans une douzaine de générations.