Ces fourmis échangent des baisers afin de partager des fluides "sociaux" pour s’assurer que chacune joue son rôle dans la communauté
Selon de nouvelles recherches, les fourmis charpentières de Floride s’échangent des baisers pour s’assurer que la colonie continue de fonctionner comme une « machine » sociale bien huilée.
En échangeant leur salive, cette espèce de fourmis (Camponotus floridanus) a créé un métabolisme à l’échelle de la colonie qui garantit que chaque individu dispose de ce dont il a besoin pour jouer son rôle dans la communauté, qu’il s’agisse de chercher de la nourriture, de soigner ou d’élever des reines.
Selon la biologiste de l’évolution Adria LeBoeuf de l’Université de Fribourg en Suisse :
Chaque fourmi possède deux estomacs : un pour digérer sa propre nourriture et un autre qui vient en premier, un « estomac social » pour stocker les fluides qu’elle partage avec les autres fourmis de sa colonie. Ces échanges de fluides permettent aux fourmis de partager de la nourriture et d’autres protéines importantes qu’elles produisent elles-mêmes.
La fonction exacte de ces fluides « sociaux » est encore peu étudiée, bien que l’on pense que d’autres insectes sociaux, comme les mouches à fruits, utilisent la salive pour créer également un système circulatoire social, échangeant entre eux de la nutrition, des défenses immunitaires et des hormones.
En approfondissant le phénomène chez les fourmis charpentières de Floride, les chercheurs ont maintenant trouvé des preuves que ces fluides sociaux peuvent être liés au rôle d’un individu dans la colonie.
Lorsque les auteurs ont analysé toutes les protéines présentes dans les “estomacs sociaux” des fourmis charpentières, ils ont constaté que la salive était remplie de différents biomarqueurs en fonction des conditions de la colonie.
Sur 70 colonies et 40 échantillons individuels de liquide, les chercheurs ont trouvé 519 protéines, dont 27 apparaissent dans la salive de manière générale, indépendamment du cycle de vie de la colonie, du stade de vie ou des conditions environnementales. Hormis ces protéines de base, les autres étaient très variées.
Les colonies plus jeunes, par exemple, produisaient une salive plus souvent remplie de protéines impliquées dans la transformation rapide des sucres, tandis que les colonies plus âgées faisaient circuler des protéines nécessaires à la croissance, à la métamorphose de leurs jeunes et à prolonger la vie.
Cela suggère que la salive trouvée dans les colonies de fourmis plus matures agit comme des hormones circulant dans un corps, sauf que dans ce cas, ce corps est un superorganisme, les « hormones » dictant le type de rôle qu’une fourmi joue dans la colonie.
Par exemple, les fourmis qui s’occupent des petits de la reine, les « nourrices », semblent avoir une plus grande abondance de protéines liées au stress oxydatif dans leur estomac social.
Cela suggère que d’autres fourmis « altruistes » transmettent des molécules permettant de prolonger la vie des nourrices, qui doivent vivre plus longtemps pour élever la génération suivante. En d’autres termes, certaines fourmis effectuent un travail métabolique difficile sans jamais en voir les bénéfices.
D’autres recherches sont nécessaires pour déterminer l’impact de chaque protéine partagée sur la colonie et les fourmis individuelles. Mais les conclusions de cette étude suggèrent que les baisers dans les colonies de fourmis sont un modèle utile pour comprendre comment les sociétés animales ont pu évoluer vers une division du travail.
Selon LeBoeuf :
Il est difficile de mesurer la façon dont le travail métabolique est partagé entre les cellules. Ici, les fourmis se passent les choses d’une manière telle que nous pouvons facilement accéder à ce qu’elles partagent.
L’étude publiée dans la revue eLife : Biomarkers in a socially exchanged /fluid reflect colony maturity, behavior, and distributed metabolism et présentée sur le site de l’Université de Fribourg : Swapping spit helps ants share metabolic labour.