Cartographie des zones où les cultures poussent avec un rendement maximal et en engendrant un minimum de dégâts environnementaux
Dans le monde entier, des zones forestières autrefois épaisses et d’autres habitats naturels ont fait place à d’immenses champs de culture où nous produisons de la nourriture pour nous-mêmes et pour notre bétail. Les dommages causés aux écosystèmes et à la faune sauvage sont considérables, entraînant l’effondrement d’écosystèmes entiers et l’extinction d’espèces, dans certains cas. Pourtant, dans le même temps, le monde a désespérément besoin d’une agriculture intensive et à haut rendement pour nourrir des milliards de personnes.
Mais si ce dilemme peut sembler inéluctable et que nous devons échanger le bien-être de la nature contre notre propre survie, il n’en est pas nécessairement ainsi. Il y a l’agriculture intelligente, et il y a l’agriculture chaotique et non planifiée que nous connaissons aujourd’hui. Conscients de cette lacune, des chercheurs de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) ont dressé une carte montrant où les principales cultures vivrières du monde devraient être cultivées pour maximiser le rendement tout en minimisant l’impact de l’agriculture sur l’environnement.
D’après les résultats, si les terres cultivées dans le monde étaient déplacées vers ces emplacements idéaux, l’impact carbone lié à cette industrie serait réduit de 71 %, sans perte de rendement par rapport aux cultures actuelles. Ce réaménagement permettrait à d’immenses champs vides de revenir à leur état naturel, boisé, ce qui entraînerait la capture d’une quantité importante de carbone à la fois dans les arbres et dans le sol. Ce retour en arrière prendrait quelques décennies.
La faune et la flore sauvages en bénéficieraient également grandement. Dans ce scénario optimisé, le stress sur la biodiversité mondiale serait réduit de 87 %. Selon une étude de 2016, l’agriculture et la surexploitation des espèces végétales et animales constituent des menaces nettement plus importantes pour la biodiversité que le changement climatique. Près des trois quarts des espèces menacées dans le monde étaient confrontées à ces risques, contre seulement 19 % touchées par le changement climatique.
Dernier point, mais non des moindres, cette refonte éliminerait pratiquement l’irrigation, puisque les terres cultivées désignées sont situées dans des régions où les précipitations fournissent suffisamment d’eau pour une croissance optimale des plantes. Environ 70 % de l’eau douce de la planète est utilisée pour l’agriculture, ce qui provoque des pénuries dans les régions les plus sèches du monde.
Selonb le Dr Robert Beyer, ancien chercheur au département de zoologie de l’université de Cambridge, et premier auteur de l’étude
Dans de nombreux endroits, les terres cultivées ont remplacé des habitats naturels qui contenaient énormément de carbone et de biodiversité, et les cultures n’y poussent même pas très bien. Si nous laissions ces endroits se régénérer et déplacions la production vers des zones mieux adaptées, nous constaterions très rapidement des avantages environnementaux.
Pour leur étude, les chercheurs ont analysé la géographie, les rendements et les conditions de croissance de 25 cultures majeures, dont le blé, l’orge et le soja. Ensemble, les zones examinées représentent les trois quarts des terres cultivées dans le monde.
À l’aide d’un modèle mathématique, les chercheurs ont examiné plusieurs scénarios de distribution possibles permettant de maintenir la production alimentaire globale pour chaque culture. Les résultats ont permis d’établir une liste de modèles de distribution ayant le plus faible impact sur l’environnement.
A partir de l’étude : Répartition actuelle et écologiquement optimale des terres cultivées dans le monde. Les potentiels de réduction estimés en a sont basés sur un compromis optimal entre les impacts sur le carbone et la biodiversité (voir la section « Méthodes »). Les données de rendement potentiel utilisées ici sont basées sur les conditions climatiques actuelles et supposent une gestion des cultures à haut niveau d’intrants et un approvisionnement en eau pluviale, de sorte que les zones relocalisées ne sont, par conception de l’approche, pas irriguées. Les niveaux de production mondiaux des différentes cultures pour les zones réparties de manière optimale sont identiques aux niveaux actuels. Dans le scénario de relocalisation nationale, c’est également le cas pour les niveaux de production nationaux. (Robert M. Beyer et col./ Nature Communications Earth & Environment)
La relocalisation des terres cultivées pourrait être effectuée à l’aide de programmes gouvernementaux qui dédommagent financièrement les agriculteurs pour qu’ils retirent une partie ou la totalité de leurs terres. Cela a déjà été fait auparavant avec un certain succès pour protéger les points chauds de la biodiversité menacée.
Malgré tout, les chercheurs eux-mêmes ne croient pas que l’agriculture puisse un jour être limitée aux zones les plus optimales. Des obstacles économiques, sociaux et politiques insurmontables s’y opposent.
Par exemple, la nouvelle étude a trouvé de nouvelles zones d’agriculture optimale dans le Midwest des États-Unis et sous le désert du Sahara, tandis que d’immenses terres cultivées en Europe et en Inde sont désignées comme sous-optimales et devraient être remplacées par des habitats naturels. Mais même les pays dont les sols sont les moins propices à la culture préféreraient financer leur production agricole pour des raisons de sécurité nationale. La concentration de la production alimentaire dans quelques régions clés du monde seulement pose également d’immenses problèmes logistiques et entraîne des conséquences non prises en compte.
Cartes ci-dessous, à partir de l’étude : distributions optimales des terres cultivées mondiales pour le climat de la fin du siècle. Les cartes montrent les équivalents de celle présentée plus haut (carte c) sur la base des rendements potentiels projetés pour le climat de 2071-2100 dans le cadre de quatre scénarios d’émissions alternatifs : scénarios RCP a 2,6 (forçage radiatif), b 4,5, c 6,0, d 8,5. Dans chaque scénario, les niveaux de production des cultures individuelles sont identiques aux niveaux actuels, étant donné le manque de projections futures appropriées. (Robert M. Beyer et col./ Nature Communications Earth & Environment)
Mais il ne s’agit pas de redistribuer l’ensemble des terres cultivées de la planète. La carte montre l’emplacement des terrains les plus intéressants pour l’agriculture, ce qui pourrait aider le secteur à répartir ses efforts et ses ressources au mieux. Nous n’obtiendrons jamais les avantages environnementaux d’une stratégie agricole optimale à 100 %, mais les informations disponibles pourraient s’avérer extrêmement utiles. Au minimum, les cultures les moins productives pourraient être abandonnées au profit d’une maximisation des avantages environnementaux.
Par exemple, une redistribution des terres cultivées à l’intérieur des frontières nationales, par opposition à une redistribution mondiale, réduirait l’impact mondial sur le carbone de 59 % et l’impact sur la biodiversité de 77 % par rapport aux niveaux actuels.
Dans le cadre d’un plan encore plus réaliste, la relocalisation des 25 % de terres cultivées les moins performantes au niveau national permettrait d’obtenir 50 % des avantages d’un déplacement optimal de toutes les terres cultivées à l’échelle mondiale.
Selon Beyer :
Il n’est actuellement pas réaliste de mettre en œuvre cette refonte complète. Mais même si nous ne déplacions qu’une fraction des terres cultivées dans le monde, en nous concentrant sur les endroits les moins efficaces pour la culture, les avantages environnementaux seraient énormes.
L’étude publiée dans Nature Communications Earth & Environment : Relocating croplands could drastically reduce the environmental impacts of global food production et présentée sur le site de l’Université de Cambridge : Relocating farmland could turn back clock twenty years on carbon emissions.