Les chimpanzés combinent leurs appels pour former un langage que nous découvrons à peine
Les humains aiment à penser que leur maîtrise du langage les distingue des capacités de communication des autres animaux, mais une nouvelle analyse de vocalisations de chimpanzés pourrait nous obliger à reconsidérer le caractère unique de nos capacités d’expression.
Image d’entête : les chimpanzés Asanti et Akuna en train de vocaliser dans le parc national de Taï. (Liran Samuni/ Taï Chimpanzee Project)
Dans une nouvelle étude (lien plus bas), des chercheurs français (Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod/ CNRS) et allemand (Institut Max-Planck de neurologie et des sciences cognitives) ont analysé près de 5 000 enregistrements de cris de chimpanzés adultes sauvages dans le parc national de Taï, en Côte d’Ivoire.
Lorsqu’ils ont examiné la structure des cris enregistrés, ils ont été surpris de trouver 390 séquences vocales uniques, un peu comme des phrases de différentes sortes, assemblées à partir de combinaisons de différents types de cris.
Comparées aux possibilités virtuellement infinies de la construction de phrases humaines, 390 séquences distinctes peuvent sembler peu loquaces. Pourtant, jusqu’à présent, personne ne savait vraiment que les primates non humains avaient autant de choses différentes à se dire, car nous n’avions jamais quantifié leurs capacités de communication de manière aussi approfondie.
Selon la chercheuse Tatiana Bortolato, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive, en Allemagne :
Nos résultats mettent en évidence un système de communication vocale chez les chimpanzés qui est beaucoup plus complexe et structuré qu’on ne le pensait jusqu’à présent.
Dans l’étude, les chercheurs ont voulu mesurer comment les chimpanzés combinent des appels uniques en séquences, ordonnent ces appels au sein des séquences et recombinent des suites indépendantes en séquences encore plus longues.
Si les combinaisons de cris des chimpanzés ont déjà été étudiées, les séquences qui constituent l’ensemble de leur répertoire vocal n’avaient jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une vaste analyse quantitative. Pour remédier à cela, l’équipe a capturé 900 heures d’enregistrements vocaux de 46 chimpanzés d’Afrique occidentale sauvages adultes (Pan troglodytes verus), appartenant à trois communautés de chimpanzés différentes dans le parc national de Taï.
En analysant les vocalisations, les chercheurs ont identifié la manière dont les appels vocaux pouvaient être prononcés individuellement, combinés en séquences de deux unités (bigrammes) ou de trois unités (trigrammes). Ils ont également cartographié les réseaux indiquant comment ces énoncés étaient combinés, et examiné comment différents types de vocalisations étaient ordonnés et recombinés (par exemple, des bigrammes au sein de trigrammes).
Au total, 12 types de cris différents ont été identifiés (notamment des grognements, des halètements, des huées, des aboiements, des cris et des gémissements), qui semblaient avoir des significations différentes, selon la façon dont ils étaient utilisés, mais aussi selon le contexte dans lequel la communication avait lieu.
Selon les chercheurs dans leur étude, dirigée par Cédric Girard-Buttoz et Emiliano Zaccarella :
Les grognements simples, par exemple, sont principalement émis pour la nourriture, tandis que les grognements haletants sont principalement émis comme une vocalisation de salutation soumise. Les huées simples sont émises pour répondre aux menaces, mais les huées ventilées sont utilisées dans la communication entre parties.
Au total, les chercheurs ont constaté que ces différents types de cris pouvaient être combinés de diverses manières pour constituer 390 types de séquences différentes, ce qui, selon eux, pourrait en fait être une sous-estimation, étant donné que de nouvelles séquences de vocalisations étaient encore découvertes alors que les chercheurs atteignaient leur limite d’enregistrements sur le terrain.
Malgré tout, les données recueillies jusqu’à présent suggèrent que la communication des chimpanzés est beaucoup plus complexe que nous ne le pensions, ce qui a des implications sur la sophistication des significations générées dans leurs énoncés (et donne de nouveaux indices sur les origines du langage humain).
Toujours selon les chercheurs :
Le système vocal des chimpanzés, composé de 12 types de cris utilisés de manière flexible en tant qu’unités uniques, ou au sein de bigrammes, de trigrammes ou de séquences plus longues, offre la possibilité de coder des centaines de significations différentes. Bien que cette possibilité soit sensiblement inférieure au nombre infini de significations différentes que peut générer le langage humain, elle offre néanmoins une structure qui va au-delà de celle traditionnellement considérée comme probable dans les systèmes des primates.
La prochaine étape, selon l’équipe, consistera à enregistrer des ensembles de données encore plus importants de cris de chimpanzés, pour essayer d’évaluer comment la diversité et l’ordre des séquences prononcées sont liés à la génération de sens polyvalents, ce qui n’a pas été pris en compte dans cette étude. En d’autres termes, il y a encore beaucoup à dire, tant par les chimpanzés que par les scientifiques.
Selon l’auteur principal, Catherine Crockford, directrice de recherche à l’Institut des sciences cognitives du CNRS, en France :
Il s’agit de la première étude d’un projet plus vaste. En étudiant la riche complexité des séquences vocales des chimpanzés sauvages, une espèce socialement complexe comme les humains, nous espérons apporter un éclairage nouveau pour comprendre d’où nous venons et comment notre langage unique a évolué.
L’étude publiée dans Communications Biology : Chimpanzees produce diverse vocal sequences with ordered and recombinatorial properties et présentée sur le site de l’Institut Max-Planck de neurologie et des sciences cognitives : Chimpanzees combine calls to form numerous vocal sequences.