Il se pourrait que nos bactéries intestinales nous aident à faire du sport en diffusant de la dopamine dans le cerveau
Une nouvelle et remarquable étude a identifié un mécanisme entre l’intestin et le cerveau chez la souris qui relie des bactéries intestinales spécifiques à la motivation de l’animal pour l’exercice physique. Si la même voie est confirmée chez les humains, cela pourrait signifier que la modification du microbiome d’une personne peut contribuer à susciter le désir de faire de l’exercice.
La relation entre l’exercice et les bactéries intestinales est un aspect relativement récent de la recherche sur le microbiome. Il y a quelques années, des chercheurs de la Harvard Medical School ont présenté une hypothèse intéressante : les microbes qui vivent dans nos intestins pourraient-ils influencer nos performances sportives ?
En étudiant les microbiomes de 15 marathoniens professionnels, les chercheurs ont constaté que non seulement des espèces bactériennes spécifiques étaient détectées en plus grande abondance chez les athlètes que chez les personnes normales, mais qu’il y avait aussi d’étranges changements dans les microbiomes des coureurs avant et après un grand marathon. L’étude a émis l’hypothèse que certaines bactéries pouvaient « améliorer les performances ».
Une étude plus récente a poussé l’hypothèse plus loin en se demandant si les bactéries intestinales avaient un impact sur la motivation pour l’exercice. Cette étude a révélé que des souris en bonne santé avaient perdu tout intérêt pour la course à pied après avoir été privées d’une grande partie de leurs bactéries intestinales par des antibiotiques.
Afin d’étudier de manière exhaustive toute association possible entre l’intestin et la motivation à faire de l’exercice, une équipe de chercheurs de la Perelman School of Medicine (École de médecine Perelman de l’Université de Pennsylvanie, États-Unis) a donc repris ses recherches à zéro. Ils ont rassemblé plusieurs centaines de souris génétiquement différentes et ils ont recherché les différences biologiques fondamentales qui pourraient expliquer la variabilité des performances de chaque animal en matière d’exercice physique.
La première analyse portait sur les différences génomiques entre chaque animal. Bien qu’ils aient mené d’importantes études d’association pangénomique, les chercheurs n’ont pu trouver aucune caractéristique génétique particulière permettant de différencier les souris qui passaient beaucoup de temps à faire volontairement de l’exercice de celles qui choisissaient d’en faire peu.
En se tournant vers le microbiome, les chercheurs ont toutefois découvert que les bactéries intestinales semblaient être la solution. Non seulement les antibiotiques ont réduit d’environ 50 % l’intérêt des animaux pour l’exercice physique, mais les chercheurs ont mis le doigt sur deux espèces bactériennes spécifiques qui semblaient influencer principalement les préférences en matière de sport : l’Eubacterium rectale et Coprococcus eutactus.
Jusqu’ici, tout allait bien, mais toutes les preuves étaient encore associatives. Les chercheurs souhaitaient comprendre comment certaines bactéries pouvaient influencer directement la motivation pour l’exercice.
En examinant de plus près le cerveau des souris, les chercheurs ont découvert que l’exercice physique déclenchait une voie de signalisation de la dopamine entre l’intestin et le cerveau. Les neurones sensoriels du côlon semblaient être stimulés après l’exercice, et ces neurones envoyaient au cerveau des signaux qui entraînaient la libération de dopamine dans le striatum, une région qui contrôle le mouvement et la récompense.
Et qu’est-ce qui activait ces signaux sensoriels dans l’intestin ? Vous l’avez deviné, les deux espèces bactériennes précédemment associées à l’augmentation des performances sportives. Les deux types de bactéries exprimaient des métabolites appelés amides d’acides gras (AAG), et ces molécules stimulaient les neurones sensoriels de l’intestin qui communiquaient ensuite avec le cerveau.
Parmi les nombreuses et fascinantes questions suscitées par ces résultats, les chercheurs suggèrent que la plus curieuse est peut-être l’origine évolutive de ce mécanisme symbiotique. L’une des hypothèses soulevées dans l’étude est que la disponibilité limitée de certains nutriments dans un environnement donné pourrait propager une population bactérienne intestinale spécifique, plus propice à une activité physique prolongée. Ainsi, pour rester en bonne santé, un animal devait être motivé pour passer beaucoup de temps à chercher des aliments différents.
Un commentaire sur l’étude, rédigé par deux biologistes de l’université de Californie à Los Angeles, présente une hypothèse différente, indiquant que la relation pourrait être moins liée à l’activité physique induite par la dopamine qu’aux fonctions de signalisation de la douleur par les mêmes neurones sensoriels intestinaux.
Selon les chercheurs, qui n’ont pas participé à la nouvelle étude :
L’explication évolutive d’un tel contrôle réglementé exercé par les microbes sur la fonction cognitive de leur hôte est déroutante. Il est possible que l’effet observé soit une coïncidence qui se produit secondairement aux fonctions intestinales locales des molécules produites par les bactéries. Étant donné que les neurones sensoriels exprimant TRPV1 transmettent également des signaux liés à la douleur, une autre explication pourrait impliquer une interdépendance bénéfique dans la relation entre la santé intestinale et la capacité à s’engager dans des activités physiques consommatrices d’énergie.
Bien sûr, il est important d’ajouter la mise en garde suivante : ces résultats n’ont jusqu’à présent été démontrés que chez la souris. D’autres travaux devront valider si une voie intestin-cerveau similaire se retrouve chez les humains.
Mais, si cela est confirmé chez eux, les implications pour les futures applications thérapeutiques sont importantes. Non seulement il est plausible de spéculer sur le potentiel d’un régime alimentaire, d’un mode de vie ou d’une supplémentation en métabolites pour aider la motivation d’une personne à faire de l’exercice, mais, plus généralement, les chercheurs indiquent qu’il est probable que d’autres neurotransmetteurs et voies dépendantes de la dopamine puissent être affectés par l’intestin. Cela signifie qu’il est possible qu’une variété de troubles de l’humeur puissent être influencés par le microbiome.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Cela ouvre donc la voie au concept plus général « d’interoceptomimétiques », des molécules qui stimulent les voies sensorielles afférentes et influencent ainsi l’activité cérébrale par une intervention périphérique. S’ils sont applicables à l’humain, nos résultats impliquent que les interoceptomimétiques qui stimulent la motivation pour l’exercice pourraient présenter une opportunité puissante pour contrecarrer l’impact néfaste sur la santé d’un mode de vie sédentaire.
L’étude publiée dans Nature : A microbiome-dependent gut–brain pathway regulates motivation for exercise et présentée sur le site de l’Université de Pennsylvanie, Penn Medicine : Gut Microbes Can Boost the Motivation to Exercise, Penn Medicine Study Finds.