Pollution lumineuse : le ciel nocturne s’éclaircit de près de 10 % chaque année
Depuis des siècles, les amateurs d’étoiles observent le ciel de nuit avec émerveillement et curiosité. Cependant, alors que de plus en plus de lumières artificielles sont ajoutées dans nos villes et villages, l’obscurité naturelle du ciel nocturne disparaît rapidement, remplacée par un éternel crépuscule. La pollution lumineuse, ou la dispersion de la lumière artificielle dans l’atmosphère, rend de plus en plus difficile l’observation des étoiles et la découverte de toute la beauté du ciel nocturne. Une nouvelle étude dirigée par Christopher Kyba, du centre de recherche allemand GFZ pour les géosciences à Potsdam, a révélé que ce problème ne fait que s’aggraver, le ciel nocturne augmentant en luminosité à un rythme inquiétant.
Image d’entête : impact de la pollution lumineuse, d’un excellent ciel noir (à gauche) à un ciel de centre-ville (à droite) (NOIRLab/ NSF/ AURA, P. Marenfeld)
L’étude, qui s’est appuyée sur plus de 50 000 observations réalisées par des scientifiques citoyens du monde entier au cours des 12 dernières années et regroupées sur le site Globe at Night, a révélé que la luminosité du ciel nocturne a augmenté de 7 à 10 % par an. Cela équivaut à un doublement de la luminosité en seulement 8 ans, bien plus rapidement que l’augmentation de 2 % par an de la luminosité rapportée par les observations par satellite.
En 2017, l’estimation était à :
Il y a deux constatations principales. La première est que, chaque année, les observateurs signalent qu’ils voient moins d’étoiles que l’année précédente, et le rythme de ce changement est beaucoup plus élevé que prévu. La seconde, selon les chercheurs, est que cette technique de science citoyenne est à la fois très importante et très efficace pour suivre les changements de ce paramètre environnemental sur de très grandes échelles spatiales.
Selon les estimations actuelles de la variation de la luminosité du ciel, un enfant né dans une région où 250 étoiles sont visibles verrait probablement moins de 100 étoiles au même endroit 18 ans plus tard, lorsqu’il sera adulte.
Ce déclin de la visibilité n’est pas seulement un coup dur pour les amateurs d’étoiles, mais aussi pour le domaine de l’astronomie. La pollution lumineuse rend difficile pour les astronomes l’observation d’objets peu lumineux dans le ciel nocturne, tels que les galaxies et les lointaines nébuleuses. De plus, les lumières vives de nos villes et de nos villages créent une « lueur dans le ciel » qui peut s’étendre sur des centaines de kilomètres dans les zones rurales, compliquant ainsi les observations des astronomes, même dans les endroits les plus reculés.
La Voie lactée disparaît dans la lumière artificielle de la lumière de la ville de Berlin. La pollution lumineuse assombrit la vue des étoiles et affecte les écosystèmes. (A. Jechow/ IGB)
La pollution lumineuse a également d’importantes conséquences environnementales. L’éclairage artificiel perturbe le comportement des animaux nocturnes, comme les oiseaux, les chauves-souris et les insectes. Ils sont attirés par la lumière et peuvent subir divers effets négatifs, notamment la désorientation, la réduction de leur reproduction et même la mort. En outre, l’éclairage artificiel peut avoir un effet négatif sur la croissance et la pollinisation des plantes. Si la végétation est exposée à la lumière toutes les nuits, les arbres et les fleurs commencent à fleurir plus vite et plus tôt, ce qui déclenche toute une série d’autres effets. De nombreuses créatures basent leur cycle de vie sur l’éclosion des fleurs, par exemple. Un autre, avec les oiseaux migrateurs qui sont particulièrement vulnérables aux façades éclairées pendant les périodes de mauvais temps.
Les humains ne sont pas épargnés non plus. Des études ont montré que la pollution lumineuse peut perturber nos rythmes circadiens et entraîner des troubles du sommeil et des dépressions. En outre, les personnes exposées à une lumière artificielle excessive la nuit présentent un risque plus élevé de développer certains cancers, comme le cancer du sein et de la prostate.
On ne sait toutefois pas exactement ce qui est à l’origine de cette augmentation spectaculaire de la luminosité dans le ciel, car l’étude actuelle est purement observationnelle. Pour l’instant, le professeur Christopher Kyba, premier auteur de l’étude et du centre de recherche allemand GFZ, spécule sur le passage des lampes à sodium haute pression aux LED blanches. Les municipalités du monde participent à cette transition, et il est raisonnable de comprendre pourquoi. Les LED produisent une lumière plus brillante, contrairement à la lueur jaune foncé des lampes à sodium qui est généralement une lumière de très mauvaise qualité, tout en consommant 50 % d’énergie en moins et en durant jusqu’à trois fois plus longtemps que les lampes classiques. Mais en même temps, les LED contiennent de la lumière bleue, qui se diffuse plus facilement dans l’atmosphère. De plus, l’œil humain est plus sensible à la lumière bleue qu’à la lumière orange. La publicité et l’éclairage des façades peuvent également être en cause.
Les photographies prises par des astronautes de certaines parties de Calgary (Canada) présentent des exemples de l’évolution de l’éclairage entre 2010 et 2021 : De nouveaux éclairages ont été installés et de nombreux lampadaires ont été convertis du sodium haute pression orange en LED blanches. (Les photos ne sont pas prises avec les mêmes réglages, et ont une résolution spatiale différente. Ainsi, la photo de 2010 apparaît un peu plus lumineuse). (Centre spatial Johnson de la NASA, géoréférencement par le GFZ de Potsdam)
Selon Christopher Kyba :
Mon impression subjective est que l’éclairage des façades est de plus en plus courant sur les nouveaux bâtiments et maisons, mais je n’ai pas de données pour étayer cette hypothèse. La raison pour laquelle cela pourrait expliquer la différence avec les observations par satellite est que les panneaux éclairent latéralement, ce qui est la pire direction possible pour la luminescence du ciel, mais les rend difficiles à voir pour les satellites.
Il est clair que la pollution lumineuse est un problème qui prend rapidement de l’ampleur et qui a des conséquences importantes tant pour notre capacité à voir les étoiles que pour l’environnement. Comme l’illustre la nouvelle étude, les scientifiques citoyens peuvent jouer un rôle essentiel pour comprendre et résoudre cet important problème, ce qui n’est presque jamais arrivé dans cette situation, si ce n’est grâce au zèle de Kyba.
Le scientifique explique que ce projet s’est vu refuser des financements à plusieurs reprises, si bien que Kyba y a travaillé pendant son temps libre pendant près de dix ans.
Toujours selon Kyba :
Si la participation au projet était multipliée par 10 ou 20, il deviendrait possible d’examiner des zones plus petites, comme des pays ou des États individuels. Cela signifierait que nous pourrions trouver des endroits où la lumière augmente plus rapidement ou plus lentement que la moyenne (ou peut-être même diminue), et nous pourrions nous demander ce qui rend ces endroits différents. Par exemple, la France dispose d’une loi nationale sur la pollution lumineuse. A-t-elle été efficace pour contrôler les émissions ? Pour l’instant, nous n’en savons rien. Ce serait donc vraiment fantastique si vos lecteurs participaient, et disaient à leurs amis et à leur famille de participer, puis de participer à nouveau l’année prochaine.
L’étude publiée dans Science : Citizen scientists report global rapid reductions in the visibility of stars from 2011 to 2022 et présentée sur le site du Helmholtz Centre Potsdam – GFZ : Visibility of stars in the night sky declines faster than previously thought.