La rotation de la coquille de glace de la lune Europe pourrait être contrôlée par les mouvements de son océan souterrain
Europe est l’objet solide le plus lisse de notre système solaire, grâce à son épaisse couche de glace. Pourtant, sous son aspect uniforme, la quatrième plus grande lune de Jupiter semble abriter des secrets, notamment un océan profond et salé qui pourrait abriter une vie extraterrestre.
Image d’entête : la lune de Jupiter, Europe, par la sonde Cassini. (NASA/ JPL-Caltech/ Institut SETI)
Cet océan fait d’Europe une cible de choix pour les études scientifiques, notamment deux missions distinctes d’orbiteurs qui devraient être lancées vers Jupiter au cours des deux prochaines années.
Bien qu’il faille attendre plusieurs années avant l’arrivée de l’une ou l’autre de ces sondes, les scientifiques étudient déjà Europe par d’autres moyens, en s’appuyant sur les observations des télescopes, les précédents survols de sondes, d’expériences en laboratoire et de simulations sur ordinateur.
Dans une nouvelle étude, des chercheurs du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de l’Institut de technologie de Californie (Caltech/ États-Unis) et de l’université d’Hokkaido (Japon) ont utilisé des superordinateurs de la NASA pour examiner une bizarrerie moins connue d’Europe : pourquoi la coquille de glace tourne-t-elle plus vite que l’intérieur ?
D’après leurs recherches, la rotation désynchronisée de la surface pourrait être causée par les courants océaniques qui poussent par le bas. C’est une grande révélation, explique Hamish Hay, auteur principal de l’étude et chercheur au JPL, aujourd’hui à l’université d’Oxford, cette révélation pourrait fournir de nouveaux indices sur ce qui se passe sous la surface de la planète.
Représentation de l’océan qui se cache sous la surface d’Europe, s’infiltrant à travers certaines de ses fissures en surface. (NASA)
Selon Hay :
Auparavant, on savait, grâce à des expériences en laboratoire et à la modélisation, que le réchauffement et le refroidissement de l’océan d’Europe pouvaient être à l’origine de courants. Aujourd’hui, nos résultats mettent en évidence un mécanisme de couplage entre l’océan et la rotation de la coquille glacée qui n’avait jamais été envisagé auparavant.
La coquille de glace flotte sur l’océan d’Europe et peut donc tourner indépendamment du reste de la lune, y compris l’océan, l’intérieur rocheux et le noyau métallique. Les scientifiques s’en doutent depuis longtemps, mais les forces à l’origine de la rotation de la coquille sont restées mystérieuses.
Europe est soumise aux marées de Jupiter, qui déforme la lune par sa puissante force d’attraction gravitationnelle. Ce bras de fer colossal provoque des fissures dans la coquille de glace d’Europe et génère probablement une partie de la chaleur du manteau et du noyau.
Associée à l’énergie thermique libérée par la désintégration radioactive, cette chaleur de l’intérieur d’Europe s’élèverait à travers l’océan vers la surface gelée, comme une casserole d’eau chauffant sur une cuisinière. Combiné à la rotation d’Europe et à d’autres facteurs, ce gradient de température vertical devrait alimenter des courants océaniques assez puissants.
Selon les estimations de l’étude, ces courants pourraient être suffisamment puissants pour déplacer la coque de glace vers le haut. Personne ne sait exactement quelle est l’épaisseur de cette coquille, mais les estimations varient entre 15 et 25 kilomètres d’épaisseur. Les scientifiques savaient qu’elle tournait probablement d’elle-même, mais ils s’étaient concentrés sur l’influence gravitationnelle de Jupiter en tant que force motrice.
Illustration de la surface gelée d’Europe, avec Jupiter dans le ciel. (John S. Howard/ NASA)
Selon Robert Pappalardo, coauteur de l’étude et scientifique du projet Europa Clipper au Jet Propulsion Lab de la NASA :
Pour moi, il était tout à fait inattendu que ce qui se passe dans la circulation océanique puisse être suffisant pour affecter la coquille de glace. Ce fut une énorme surprise. Et l’idée que les fissures et les crêtes que nous voyons à la surface d’Europe pourraient être liées à la circulation de l’océan en dessous, les géologues ne pensent généralement pas que c’est peut-être l’océan qui fait cela.
Les chercheurs ont utilisé des superordinateurs de la NASA pour élaborer des simulations complexes de l’océan d’Europe, en empruntant des techniques utilisées pour modéliser les océans sur Terre. Ces modèles leur ont permis d’approfondir les détails de la circulation de l’eau sur Europe, notamment la manière dont ces modèles sont influencés par le réchauffement et le refroidissement de l’océan.
L’étude s’est notamment intéressée à la résistance, c’est-à-dire à la force horizontale de l’océan qui pousse la glace au-dessus de lui. En tenant compte de la traînée dans leurs simulations, les chercheurs ont découvert que certains courants plus rapides pouvaient produire une traînée suffisante pour accélérer ou ralentir la rotation de la coquille de glace d’Europe. Bien que cet effet dépende de la vitesse des courants, les chercheurs notent que le réchauffement interne d’Europe peut varier dans le temps. Cela pourrait entraîner une variation correspondante de la vitesse des courants océaniques, ce qui aurait pour effet d’accélérer ou de ralentir la rotation de la carapace de glace.
Outre le fait qu’elles nous aident à comprendre Europe, ces recherches pourraient également s’appliquer à d’autres mondes océaniques, soulignent les chercheurs, où les caractéristiques de la surface pourraient donner des indications sur les eaux cachées en dessous.
Selon Hay :
Maintenant que nous connaissons le couplage potentiel entre les océans intérieurs et les surfaces de ces corps, nous pourrions en apprendre davantage sur leur histoire géologique, ainsi que sur celle d’Europe.
Le lancement de JUICE (Jupiter Icy Moons Explorer) de l’ESA est prévu pour avril 2023. Il entamera alors son voyage pour étudier les trois grandes lunes océaniques de Jupiter : Ganymède, Callisto et Europe.
Fin 2024, la NASA prévoit de lancer son orbiteur Europa Clipper, qui effectuera près de 50 survols rapprochés afin d’étudier l’habitabilité potentielle de la lune. Selon les auteurs de la nouvelle étude, il pourrait même mesurer avec précision la vitesse de rotation de la coquille de glace d’Europe.
L’étude publiée dans JGR Planets : Turbulent Drag at the Ice-Ocean Interface of Europa in Simulations of Rotating Convection: Implications for Nonsynchronous Rotation of the Ice Shell et présentée sur le site du Jet Propulsion Laboratory : Study Finds Ocean Currents May Affect Rotation of Europa’s Icy Crust.