Un tour de magie qui ne surprendra que les singes avec des pouces opposables
En réalisant des tours de magie pour plusieurs espèces de singes, une équipe de chercheurs a découvert que la crédulité des animaux pouvait dépendre de la structure de leurs mains. Plus particulièrement, l’équipe a constaté que les singes étaient plus susceptibles d’être dupés par le tour de passe-passe s’ils avaient des pouces opposables.
Image d’entête : un singe-écureuil se fait berner par un tour de passe-passe dans le cadre de l’expérience. (Elias Garcia-Pelegrin)
Pour les animaux, les tours de magie sont un excellent moyen de tester leur intelligence, leur perception et leur cognition. Les chercheurs ont utilisé un tour classique appelé « Le Tourniquet » ou « French Drop » pour tester la cognition de trois espèces de singes : des capucins à poitrine jaune, des singes écureuils et des ouistitis communs. Les deux premières espèces ont des pouces opposables, alors que les ouistitis n’en ont pas.
De gauche à droite : capucins à poitrine jaune (Sapajus xanthosternos), singes écureuils (Saimiri sciureus) et ouistitis communs (Callithrix jacchus). (E. Garcia-Pelegrin et col./ Current Biology)
Le tour de magie nécessite un pouce opposable, et l’idée était ici, selon Elias Garcia-Pelegrin, chercheur en sciences cognitives à l’université nationale de Singapour, de vérifier si le fait d’avoir la capacité manuelle de produire une action, comme tenir un objet entre le doigt et le pouce, est nécessaire pour prédire les effets de cette action chez les autres.
Après plusieurs tours de passe-passe, l’équipe de recherche a constaté que la morphologie des primates déterminait s’ils étaient pris au dépourvu, trompés, égarés ou carrément abusés par les tours de passe-passe.
Le Tourniquet est un vieux tour de passe-passe. L’artiste montre au public un petit objet, comme une pièce de monnaie, qu’il tient avec le dos de sa main face à la foule, les doigts serrés l’un contre l’autre et pointés vers le ciel. Il utilise ensuite son autre main pour dissimuler l’objet et fait semblant de le prendre, mais laisse en réalité l’objet tomber dans la paume de sa main d’origine. Le public est ensuite invité à découvrir où se trouve l’objet. L’illusion amène les spectateurs à croire que l’objet a changé de main, alors qu’il n’en est rien. La clé du tour de passe-passe est la dissimulation du pouce de la deuxième main, caché derrière les autres doigts.
Pour cette récente expérience, la pièce a été remplacée par une friandise : des cacahuètes pour les capucins, des vers de farine pour les singes écureuils et des guimauves pour les ouistitis. Les capucins et les singes écureuils sont tombés dans le panneau à une écrasante majorité (81 % et 93 % du temps, respectivement), mais pas les ouistitis, qui n’ont été trompés que dans 6 % des cas.
Selon Nicola Clayton, chercheur en sciences cognitives à l’université de Cambridge :
Ce phénomène de miroir dans notre système neural moteur pourrait expliquer pourquoi le Tourniquet a fonctionné pour les capucins et les singes écureuils, mais pas pour les ouistitis.
Pour confirmer que les ouistitis n’étaient pas simplement plus sensibles à la manœuvre (peut-être sentaient-ils la friandise alors que les autres espèces n’y parvenaient pas), les chercheurs ont également réalisé une version modifiée du Tourniquet. Cette manœuvre, appelée « power drop« , est la même que la précédente, mais les friandises sont transférées en utilisant une prise dont les trois espèces sont capables.
A partir de l’étude : mouvements nécessaires pour effectuer le Tourniquet, le Power Drop et leurs équivalents en transfert réel. Notez l’utilisation d’une prise de précision dans le Tourniquet impliquant le pouce, contrairement à l’utilisation de la main entière dans le Power Drop , dans laquelle le pouce n’est ni caché par le reste des doigts, ni opposé. (E. Garcia-Pelegrin et col./ Current Biology)
Le power drop a trompé les capucins 81 % du temps et les singes écureuils et les ouistitis 94 % du temps, ce qui suggère que la capacité des ouistitis à suivre le tour est due à la position des doigts des magiciens.
Toujours selon Clayton :
Il s’agit de l’incarnation de la connaissance. La façon dont les doigts et les pouces bougent contribue à façonner notre manière de penser et les hypothèses que nous faisons sur le monde, ainsi que ce que les autres peuvent voir, se rappeler et anticiper, en fonction de leurs attentes.
Bien évidemment, lorsque les singes ont correctement deviné l’emplacement des friandises, ils ont pu les manger.
Présentation du tour de magie et de son utilisation sur le singe, dans le cadre de cette étude. (Université de Cambridge)
L’étude publiée dans Current Biology : Manual action expectation and biomechanical ability in three species of New World monkey et présentée sur le site de l’Université de Cambridge : Sleight-of-hand magic trick only fools monkeys with opposable thumbs.