Les températures de surface de la mer atteignent des seuils inédits
Les scientifiques s’alarment en constatant que les températures de surface de la mer persistent à battre des records pendant plus d’un mois, ce qui place l’état des océans de la Terre dans une situation inédite.
GIF d’entête : températures de l’eau dans les 300 premiers mètres de l’océan Pacifique tropical comparées à la moyenne 1991-2020 en février-avril 2023. (Animation NOAA Climate.gov, basée sur les données du Climate Prediction Center de la NOAA)
À partir de la mi-mars, les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis font un bond spectaculaire par rapport aux précédents relevés, à la suite de la diminution de la glace de mer dans l’Arctique et l’Antarctique cette année. En conséquence, un grand nombre de vagues de chaleur océanique apparaissent dans le monde entier, exerçant une pression incalculable sur la faune et la flore.
Ces événements sont alarmants, mais malheureusement pas inattendus pour ceux qui travaillent dans le domaine des sciences du climat.
Pour Jens Terhaar, biogéochimiste à l’Institut océanographique de Woods Hole (WHOI/ États-Unis) :
S’il est réconfortant de constater que les modèles fonctionnent, il est bien sûr terrifiant de voir le changement climatique se produire dans la réalité. Nous sommes en plein dedans et ce n’est que le début.
Plus les couleurs sont chaudes et foncées, plus la température de la mer est anormalement élevée. (NOAA)
Le précédent record de température a été enregistré en 2016, lors d’un El Niño, un phénomène climatique qui réchauffe davantage les océans. Bien qu’il y ait de plus en plus de preuves que nous allons bientôt entrer dans un tel événement, nous n’y sommes pas encore tout à fait, ce qui rend probable que les températures de surface de la mer puissent augmenter encore plus au cours de l’année prochaine. La chaleur qui s’accumule au large de la côte est du Chili a tendance à prédire El Niño et c’est exactement ce à quoi nous assistons en ce moment.
Pour Josef Ludescher, spécialiste des systèmes terrestres à l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam (Potsdam Institute for Climate Research) :
Si un nouvel El Niño vient s’ajouter à cela, nous aurons probablement un réchauffement climatique supplémentaire de 0,2 à 0,25 °C.
Selon l’océanographe Moninya Roughan, la chaleur additionnelle générée par un épisode El Niño amènerait certaines régions de notre planète à dépasser pour la première fois les 1,5 °C de réchauffement. Roughan pense que nous assistons à une atténuation de La Niña, qui a apporté de la fraicheur masquant la chaleur supplémentaire dans les systèmes de notre planète. Cependant, certains scientifiques sont tellement inquiets et stressés par les implications possibles qu’ils hésitent à s’exprimer.
Comme l’explique Eliot Jacobson, mathématicien à la retraite, la certitude du décalage du signal de température océanique est troublante.
Étant donné que les températures de surface à l’échelle mondiale ne feront qu’augmenter avec la progression d’El Niño, les océans pourraient connaître un terrible réchauffement de 5σ cette année ou l’année prochaine. 5σ = 1 sur 3 490 000. Nous sommes actuellement à 4,47σ. Les physiciens utilisent les anomalies de 5σ comme preuve de l’existence de la matière. Par exemple, le boson de Higgs.
Les probabilités Sigma (écart type) sont utilisées pour calculer la probabilité que les données en question soient le résultat de quelque chose d’autre que l’hypothèse. Cette statistique est souvent utilisée dans les publications sur la physique et l’astrophysique, et 5 sigma est le seuil à partir duquel les chercheurs sont vraiment convaincus que ce qu’ils observent n’est pas simplement le fruit du chaos de l’Univers. En d’autres termes, 5 sigma signifie qu’il y a 99,99972 % de chances que les chiffres mesurent un phénomène prédit, même s’il s’agit d’un phénomène très anormal.
Les chercheurs craignent qu’un écart aussi certain et anormalement important par rapport aux températures antérieures n’indique que nos océans ont atteint les limites de leur capacité d’absorption de la chaleur. Ce serait une très mauvaise nouvelle, étant donné que nos océans ont jusqu’à présent absorbé plus de 90 % de l’excès de chaleur que nous avons injecté dans nos systèmes climatiques.
Selon l’océanographe Mike Meredith, du British Antarctic Survey (Royaume-Uni) :
Ce qui est inquiétant, c’est que si cela continue, ce sera bien en avance sur la courbe climatique prévue pour l’océan. Mais nous ne savons pas encore si cela va se produire.
Nous n’en sommes donc pas encore là, mais cette tendance fait suite aux prévisions de la semaine dernière, selon lesquelles nous sommes actuellement en bonne voie pour atteindre un réchauffement de 3 °C d’ici à 2100. Toutefois, il est important de se rappeler que même si les limites de stockage de chaleur des océans sont atteintes, tout ce que nous pouvons faire pour réduire notre dépendance aux combustibles fossiles nocifs reste important, peut-être même plus que jamais.
Il est vrai que les conséquences sont déjà là. D’autres sont inévitables. Mais les recherches de centaines scientifiques, montrent clairement que nos choix sont importants. Il n’est pas trop tard pour éviter les pires conséquences.
A partir du site et du blog de la NOAA :