Une étude résout le mystère des étonnants changements de couleur de Jupiter
Les bandes de nuages sombres et clairs de Jupiter, étonnamment nettes et alternées, changent périodiquement d’aspect, mais la raison de ces variations cycliques reste un mystère.
Image d’entête : image infrarouge de Jupiter et l’un de ses anneaux ténus est visible. (NASA/ ESA/ CSA/ STScI/ Judy Schmidt)
Après avoir étudié les données sur le champ magnétique de Jupiter recueillies par la sonde Juno, une équipe de scientifiques japonais, espagnols et britanniques pense avoir trouvé la réponse. Les changements observés dans les bandes de Jupiter coïncident avec des oscillations magnétiques à l’intérieur de la planète.
Selon le mathématicien Chris Jones, de l’université de Leeds, au Royaume-Uni :
Il est possible d’obtenir des mouvements ondulatoires dans un champ magnétique planétaire, appelés oscillations en torsion (torsional oscillations). Ce qui est passionnant, c’est que lorsque nous avons calculé les périodes de ces oscillations, elles correspondaient aux périodes que l’on observe dans le rayonnement infrarouge de Jupiter.
De loin, Jupiter apparaît aussi sereine qu’un lever de soleil composé de couleurs crème pâle et caramels brûlés. Ces bandes plus sombres sont appelées “ceintures”, les plus pâles des “zones”.
Les images infrarouges révèlent les changements spectaculaires survenus sur Jupiter entre 2001 et 2011. (Arrate Antuñano/ NASA/ IRTF/ NSFCam/ SpeX)
Aussi calmes qu’elles puissent paraître, les ceintures et les zones font partie du système météorologique tourmenté de Jupiter. Elles tournent autour de la planète géante dans des directions opposées : les ceintures voyagent contre la rotation de Jupiter, les zones la suivent, et à des altitudes différentes. Les ceintures sont des régions de remontée d’eau, de sorte que les sommets des nuages dans les ceintures sont plus élevés que les sommets des nuages dans les zones descendantes.
Dans l’infrarouge, le modèle de couleurs s’inverse. Les bandes claires deviennent sombres et les bandes sombres brillent, ce qui suggère que la couverture nuageuse des ceintures est beaucoup plus fine que celle des zones.
La Terre présente des ceintures de circulation atmosphérique alternées similaires (bien que moins nombreuses et plus faibles), ce qui suggère qu’il existe une certaine similitude dans la manière dont chaque planète génère ces caractéristiques atmosphériques. Cependant, le climat de Jupiter est tellement différent de celui de la Terre qu’il est impossible d’extrapoler ce que fait l’une des planètes par rapport à l’autre. De plus, les nuages de Jupiter présentent des variations cycliques liées aux variations observées dans les données infrarouges à 50 kilomètres sous la surface, ce qui a intrigué les scientifiques.
Selon Jones :
Tous les quatre ou cinq ans, les choses changent. Les couleurs des ceintures peuvent changer et il arrive que l’on assiste à des bouleversements à l’échelle planétaire, lorsque l’ensemble des conditions météorologiques deviennent un peu folles pendant un certain temps, et la raison pour laquelle cela se produit reste un mystère.
La sonde Juno étudie Jupiter depuis 2016 et elle a récolté de nombreuses données sur les différentes structures et propriétés de la planète. L’une d’entre elles est son champ magnétique, une énorme structure magnétique générée par la “dynamo” de Jupiter, un fluide convecteur et conducteur tournant à l’intérieur de la planète qui convertit l’énergie cinétique en énergie magnétique.
La Terre possède également une dynamo. La dynamo terrestre produit notamment des oscillations magnétiques en torsion, une sorte de « vague » magnétique qui oscille dans un sens et dans l’autre, symétriques autour de l’axe de la planète, influencées par une rotation rapide.
En étudiant des années de données sur le champ magnétique recueillies par Juno, Hori et ses collègues ont pu identifier les caractéristiques d’oscillations similaires sur Jupiter. Et, chose intéressante, ces oscillations semblent liées aux changements dans les bandes de la planète et à ses variations dans l’infrarouge.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Nous proposons ici, que les oscillations de torsion donnent lieu à un cisaillement qui perturbe les lents flux convectifs de l’intérieur profond qui transportent le flux de chaleur vers la troposphère visible.
Ce phénomène pourrait considérablement perturber les conditions météorologiques et modifier les phénomènes de remontée et de descente d’eau dans les nuages joviens. L’équipe a également suivi une région très concentrée du champ magnétique, la “Grande Tache bleue”, près de l’équateur. Ils ont constaté qu’elle ralentissait, ce qui suggère le début d’une nouvelle oscillation.
Continuer à observer la planète pour voir comment les nuages changent dans un avenir proche pourrait aider l’équipe à valider ou à affiner sa théorie, et à comprendre comment cela se produit.
Pour Hori :
Il reste des incertitudes et des questions, notamment sur la manière dont l’oscillation en torsion produit la variation infrarouge observée, qui reflète probablement la dynamique complexe et les réactions entre les nuages et les aérosols. Ces questions doivent faire l’objet de recherches plus approfondies. Néanmoins, j’espère que notre étude pourra également ouvrir une fenêtre pour sonder l’intérieur profond et caché de Jupiter, tout comme la sismologie le fait pour la Terre et l’héliosismologie pour le Soleil.
L’étude publiée dans Nature : Jupiter’s cloud-level variability triggered by torsional oscillations in the interior et présentée sur le site de l’Université de Leeds : Research ‘solves’ mystery of Jupiter’s stunning colour changes.