Le bruit de fond des ondes gravitationnelles de l’univers, qui pourrait provenir des plus gros trous noirs, a été entendu pour la première fois
Des astronomes et des astrophysiciens de cinq collaborations différentes de réseaux de synchronisation de pulsars (PTA, pour pulsar timing array) ont présenté cette semaine des données qui suggèrent fortement la présence d’un bruit de fond d’ondes gravitationnelles : un murmure constant d’ondulations à basse fréquence dans l’espace-temps qui émane de quelques-uns des objets les plus insolites de l’univers.
Image d’entête : les étoiles mortes appelées pulsars (illustrées ici) émettent des faisceaux d’ondes radio qui balaient la Terre comme un mouvement d’horlogerie. On pense que les ondes gravitationnelles émises par les paires de trous noirs supermassifs (en haut à gauche) font vibrer le tissu de l’espace-temps et modifient la synchronisation des pulsars. (Aurore Simonet/ Collaboration NANOGrav)
Cette découverte confirme de précédentes hypothèses tirées des données de synchronisation des pulsars, selon lesquelles un signal à basse fréquence provenant des sources gravitationnelles les plus puissantes de l’univers, très probablement des trous noirs supermassifs voués à entrer en collision, imprègne le cosmos.
Animation de pulsars tournant à proximité de la Terre. La Terre reçoit la lumière des pulsars qui révèlent les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs binaires. (OzGrav)
Ces nouveaux résultats ont été obtenus par le Chinese Pulsar Timing Array (CPTA), l’European Pulsar Timing Array (EPTA), l’Indian Pulsar Timing Array (InPTA), le Parkes Pulsar Timing Array (PPTA) et le North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav). Ces quatre dernières collaborations constituent collectivement l’International Pulsar Timing Array (IPTA), et bien que le « consortium des consortiums » ait déjà publié des données à deux reprises, il n’a pas été impliqué dans les publications de cette semaine (lien plus bas).
Les binaires de trous noirs supermassifs, c’est-à-dire des paires de ces objets incroyablement massifs qui gravitent l’un autour de l’autre pendant des centaines de millions d’années et finissent par fusionner dans l’un des événements les plus extrêmes de l’univers, sont les principaux candidats à l’origine d’un fond d’ondes gravitationnelles de fond (GWB, pour gravitational wave background). Bien qu’elles aient été prédites, les observations n’ont jamais confirmé l’existence de binaires de trous noirs supermassifs.
Représentation artistique de deux trous noirs en collision. (Mark Myers/ ARC Centre of Excellence for Gravitational Wave Discovery (OzGrav))
Le signal attendu est “l’océan aléatoire de fond » de ces ondes gravitationnelles, qui est la somme des ondes provenant de tous les trous noirs supermassifs binaires de l’univers. L’observation de ce fond d’ondes gravitationnelles a des conséquences importantes qui permettent de mieux comprendre l’histoire de la formation de notre univers, car les trous noirs supermassifs sont en quelques sortent les moteurs au cœur des galaxies.
Les ondes gravitationnelles ont été prédites pour la première fois par Einstein dans sa théorie de la relativité générale. Selon la description d’Einstein, les ondes sont des modifications du champ gravitationnel qui se déplacent à la vitesse de la lumière. En effet, les ondes gravitationnelles émergent des interactions sismiques des objets les plus massifs et les plus compacts de l’univers. Lorsque des trous noirs orbitent ou entrent en collision les uns avec les autres, ou avec d’autres objets très denses comme les étoiles à neutrons, des ondes gravitationnelles sont produites par l’interaction.
Les trous noirs sont des régions extrêmement denses de l’espace-temps, dotées de champs gravitationnels si puissants que même la lumière ne peut s’en échapper. Les étoiles à neutrons sont des vestiges stellaires extrêmement anciens, si denses que les électrons tournant autour des atomes qui les composent se sont effondrés sur les protons de ces derniers, faisant de l’étoile entière un gros neutron. La détection d’une fusion entre un trou noir et une étoile à neutrons a été confirmée pour la première fois en 2021.
Les ondes gravitationnelles ont été détectées pour la première fois en 2015, un siècle après leur prédiction par Einstein, par l’Observatoire d’ondes gravitationnelles de l’interféromètre laser (ou LIGO, qui fait maintenant partie de la collaboration LIGO–Virgo–KAGRA). LIGO a détecté des ondulations dans l’espace-temps en mesurant très précisément la distance entre des miroirs situés dans des tunnels souterrains à Washington et en Louisiane.
Lorsque les ondes gravitationnelles traversent la Terre, elles modifient très légèrement les distances entre les miroirs de LIGO, mesurées à l’aide d’un laser, indiquant que l’espace-temps lui-même a été écrasé ou étiré.
Schéma du dispositif expérimental LIGO (LIGO)
Mais le bruit de fond des ondes gravitationnelles est un signal beaucoup plus subtil que les ondes gravitationnelles détectées par LIGO. Les ondes gravitationnelles détectées par LIGO proviennent des fusions (terme poli pour désigner de violents rapprochements) de trous noirs de masse stellaire, qui sont exactement ce à quoi ils ressemblent : des trous noirs de la taille d’une étoile.
Bien qu’il s’agisse d’un signal beaucoup plus discret que celui émis par les fusions de trous noirs de masse stellaire, le bruit de fond des ondes gravitationnelles proviendrait des objets les plus massifs de la nature : des trous noirs supermassifs, dont la masse équivaut à des milliards de fois celle de notre soleil, qui gravitent l’un autour de l’autre dans une attraction finalement fatidique.
Selon Luke Kelley, astrophysicien à l’université de Californie à Berkeley et membre de la collaboration NANOGrav :
Aucun exemple de ces binaires n’a été confirmé par les études électromagnétiques, bien qu’il existe de nombreux candidats convaincants. Les propriétés du fond d’ondes gravitationnelles que nous mesurons sont tout à fait cohérentes avec les attentes théoriques concernant les binaires de trous noirs supermassifs. En même temps, cependant, elles sont également compatibles avec la nouvelle physique.
On peut considérer les ondes gravitationnelles de LIGO comme de grandes vagues dans l’océan cosmique ; pour poursuivre l’analogie, les ondulations subtiles et dynamiques constantes de cet océan sont équivalentes au bruit de fond des ondes gravitationnelles. Le meilleur moyen d’observer cet océan est d’utiliser les pulsars, des étoiles à neutrons en rotation rapide qui émettent des impulsions lumineuses vers la Terre avec une fiabilité temporelle remarquable. Les pulsars agissent comme des phares cosmiques pour repérer le bruit de fond des ondes gravitationnelles.
Schéma présentant la lumière des pulsars voyageant vers la Terre au milieu d’une mer de vagues (ondes) gravitationnelles. (NANOGrav/ T. Klein)
Tout comme un groupe d’antennes de radiotélescopes peut former un réseau, un grand télescope, les données sur les ondes radio provenant d’un groupe de pulsars peuvent être rassemblées pour former un réseau de la taille d’une galaxie. Selon un communiqué de la Fondation nationale pour la science (NSF), les ondes gravitationnelles détectées par les réseaux de synchronisation des pulsars peuvent avoir une longueur de 10 années-lumière (90 000 milliards de kilomètres) d’une crête à l’autre.
Représentation d’un réseau de synchronisation de pulsars (PTA, pour pulsar timing array). La Terre reçoit la lumière des pulsars qui révèlent les ondes gravitationnelles des trous noirs supermassifs binaires. (OzGrav)
Les résultats ont été publiés simultanément dans plusieurs études (liens plus bas avec les mêmes indications). L’ensemble NANOGrav traite des preuves de l’existence du bruit de fond, des observations des pulsars, de la caractérisation du détecteur NANOGrav et d’un travail explorant ce que pourrait être la nouvelle physique dans les données de l’équipe. Les résultats de l’équipe CPTA et les résultats de l’équipe PPTA ont été et devraient être publiés dans deux revues.
L’ensemble de données de 12 années et demi de NANOGrav, publié en 2021, constituait un indice convaincant de l’existence du bruit de fond des ondes gravitationnelles, mais les nouvelles données (leur ensemble de données sur 15 ans) comprennent des preuves des corrélations spatiales qui accompagnent un signal d’ondes gravitationnelles. Cela renforce la probabilité que le signal qu’ils observent soit bien réel.
Pour l’instant, les chercheurs observent un signal qui est fondamentalement le même dans tout le ciel. À mesure que la sensibilité des appareils augmentera, ils commenceront à voir comment le signal est distribué dans le ciel. Cette distribution révélerait les points chauds du bruit de fond, ou les régions où les sources de bruit de fond des ondes gravitationnelles sont particulièrement “bruyantes”. Cela pourrait être dû à leur masse ou à leur proximité avec les détecteurs humains.
Les chercheurs ajoutent qu’à mesure que les binaires de trous noirs supermassifs se rapprochent, leur signal sinusoïdal d’ondes gravitationnelles devient davantage un « gazouillis » auquel les réseaux de synchronisation de pulsars ne sont pas sensibles. Cependant, les systèmes binaires individuels permettent de déterminer si la source de l’onde gravitationnelle observée par les PTA (rappel : réseaux de synchronisation de pulsars) provient des binaires plutôt que d’une autre source cosmologique, telle que l’inflation cosmique.
Pour détecter les « gazouillis » des trous noirs supermassifs sur le point de fusionner, Simon a déclaré que les astronomes auront besoin de l’antenne spatiale de l’interféromètre laser, ou LISA. C’est une mission spatiale prévue par l’Agence spatiale européenne (ESA) qui consistera en trois sondes en orbite les unes autour des autres, formant un triangle dans l’espace de 2,41 millions de kilomètres de côté.
Illustration de la mission LISA (NASA)
Selon les chercheurs :
Nos expériences sont l’un des seuls moyens de trouver des preuves directes de l’existence de paires de trous noirs supermassifs qui finiront par fusionner. En étudiant ces ondes gravitationnelles, nous pourrons comprendre plus en détail la manière dont les galaxies ont fusionné tout au long de l’histoire cosmique.
Que les binaires de trous noirs supermassifs soient les seuls responsables du bruit de fond apparent des ondes gravitationnelles, ou qu’ils ne le soient pas, en raison d’une nouvelle physique, de nouvelles données ne manqueront pas de bouleverser le cosmos. Les grondements des objets les plus imposants de l’univers sont enfin percés à jour, car les scientifiques ont réussi à créer des observatoires à partir des étoiles elles-mêmes.
Les résultats ont été publiés simultanément dans plusieurs études. L’ensemble NANOGrav traite des preuves de l’existence du bruit de fond : The NANOGrav 15 yr Data Set: Evidence for a Gravitational-wave Background, des observations des pulsars : The NANOGrav 15 yr Data Set: Observations and Timing of 68 Millisecond Pulsars, de la caractérisation du détecteur NANOGrav : The NANOGrav 15 yr Data Set: Detector Characterization and Noise Budget et d’un travail explorant ce que pourrait être la nouvelle physique dans les données de l’équipe : The NANOGrav 15 yr Data Set: Search for Signals from New Physics.
Les résultats de l’équipe CPTA ont été publiés dans la revue Research in Astronomy and Astrophysics : Search for an Isotropic Gravitational-wave Background with the Parkes Pulsar Timing Array, et les résultats de l’équipe PPTA ont été publiés dans The Astrophysical Journal Letters et devraient être publiés dans les Publications of the Astronomical Society of Australia disponible en prépublication dans arXiv : The Parkes Pulsar Timing Array Third Data Release.
Présentée sur le site de la Collaboration NANOGrav : Scientists use Exotic Stars to Tune into Hum from Cosmic Symphony et de la National Science Foundation via Eurekalert : Gravitational waves from colossal black holes found using ‘cosmic clocks’.