Mercure a rétréci pendant au moins 3 milliards d’années et ça continus
Mercure, la planète la plus proche du Soleil, a toujours fasciné les astronomes et les planétologues. Ce petit monde rocheux a une histoire intrigante et une caractéristique très curieuse : il semble rétrécir.
Image d’entête : une vue en perspective des immenses plaines volcaniques qui s’étendent sur les latitudes septentrionales de Mercure, colorisées par la hauteur de la surface topographique. Les couleurs violettes sont les plus basses et le blanc les plus élevés. (NASA)
Au cœur du mystère de Mercure se trouve le refroidissement de son noyau. Malgré sa proximité avec le Soleil, l’intérieur de la planète s’est progressivement refroidi au fil des siècles. Ce refroidissement a des conséquences importantes sur l’évolution géologique de Mercure.
À mesure que la planète se refroidit, la roche et le métal qui composent Mercure se contractent légèrement en volume. Cette contraction thermique entraîne un phénomène curieux : la surface de la planète, ou croûte, commence à réagir en formant ce que les scientifiques appellent des « failles de chevauchement » (thrust fault en anglais). Ces failles témoignent de la transformation continue de Mercure due au refroidissement de son noyau.
Les premiers indices de rétrécissement sont apparus en 1974, lorsque la mission Mariner 10 de la NASA a renvoyé des images d’escarpements, ou de pentes en forme de rampe, qui s’étendaient sur la surface de la planète. Ces escarpements, connus sous le nom “d’escarpements lobés » (lobate scarps), atteignaient des hauteurs de plusieurs kilomètres et s’étendaient sur des centaines de kilomètres à la surface de la planète. Ce sont les premiers signes tangibles de l’agitation géologique de Mercure.
Vue en perspective d’un escarpement lobé sur Mercure nommé Carnegie Rupes, avec un code de couleurs en fonction de l’altitude de la surface. Le cratère situé au milieu mesure près de 40 km de diamètre. (NASA/ Laboratoire de physique appliquée de l’université Johns Hopkins/ Institut Carnegie de Washington)
Par la suite, la sonde Messenger, qui a orbité autour de Mercure de 2011 à 2015, a fourni encore plus d’informations. Elle a révélé la présence de nombreuses escarpements lobés disséminés sur la planète, réaffirmant l’idée que Mercure était bel et bien en train de rétrécir.
Connaître l’âge de ces cicatrices est essentiel pour déchiffrer le passé géologique de Mercure et prédire l’avenir de la planète. Pour les dater, les scientifiques utilisent une méthode basée sur la densité des cratères d’impact. Plus il y a de cratères sur une surface, plus elle est ancienne, car elle a été exposée plus longtemps aux collisions cosmiques. Toutefois, cette approche n’est pas sans poser de problèmes. Les premiers stades du système solaire étaient beaucoup plus chaotiques, avec un taux d’impact plus élevé qu’aujourd’hui. Cela signifie que le nombre de cratères ne peut à lui seul fournir un âge précis, même si la plupart des chercheurs estiment que les cicatrices de Mercure datent d’environ 3 milliards d’années.
Néanmoins, un indice essentiel émerge des relations complexes entre ces escarpements et les cratères d’impact. Alors que certaines cicatrices traversent des cratères plus anciens, de plus jeunes cratères se superposent souvent à elles. Cela suggère que les cicatrices pourraient être antérieures aux plus jeunes cratères.
Une question cruciale demeure : ces cicatrices ont-elles cessé de se déplacer il y a longtemps, ou sont-elles toujours actives, modifiant progressivement le visage de Mercure ? La réponse réside en la connaissance de la dynamique des failles de chevauchement qui se trouvent en dessous.
Les tremblements de terre offrent une analogie. Le tremblement de terre de Tohoku, d’une magnitude de 9, qui s’est produit en 2011 au large des côtes japonaises, a été provoqué par un saut soudain de 20 mètres le long d’une faille de chevauchement de 100 kilomètres de long. Sur Mercure, l’échelle de ces « tremblements de terre » est probablement plus petite, compte tenu de la taille de la planète. L’accumulation des deux à trois kilomètres de raccourcissement total observés sur une faille typique de Mercure nécessiterait des centaines de tremblements de terre de magnitude 9 ou potentiellement des millions d’événements plus petits. Ceux-ci auraient pu se dérouler sur des milliards d’années.
Jusqu’à récemment, les preuves de l’ampleur et de la durée des mouvements des failles sur Mercure étaient rares. Cependant, une avancée a eu lieu lorsque Ben Man, étudiant en doctorat à l’Open University (Royaume-Uni), a remarqué une particularité intéressante. Certaines cicatrices présentaient de petites fissures sur leurs surfaces supérieures étirées, interprétées comme des « grabens« , c’est-à-dire des bandes de terrain qui sont tombées entre deux failles parallèles.
A partir de l’étude : quelques exemples de grabens sur Mercure à partir des images de la mission Messenger. (Benjamin Man et col./ Nature Geoscience)
Publiée la semaine dernière (lien plus bas), cette découverte laisse entrevoir un mécanisme possible pour la formation de ces grabens. Alors que l’ensemble de la croûte de Mercure subit une compression, les tranches de croûte individuelles peuvent se plier lorsqu’elles sont poussées sur des terrains adjacents, ce qui entraîne la formation de grabens. Ces derniers sont relativement petits, moins d’un kilomètre de large et moins d’une centaine de mètres de profondeur. Ces caractéristiques doivent être beaucoup plus récentes que les anciennes structures sur lesquelles elles reposent, sinon le bombardement de débris cosmiques les aurait effacées.
En étudiant la vitesse à laquelle ces cratères d’impact estompent les caractéristiques de la surface, les scientifiques ont estimé que la majorité des grabens ont moins de 300 millions d’années. Cela suggère que leurs derniers mouvements ont dû se produire très récemment à l’échelle des temps géologiques.
Les recherches, menées à l’aide des images détaillées de Messenger, ont permis d’identifier 48 grands escarpements lobés définitivement associés à de petits grabens et 244 autres escarpements associés à des grabens « probables », qui ne sont pas clairement visibles sur les images. Ces résultats ouvrent un nouveau chapitre dans la connaissance de l’activité géologique en cours sur Mercure.
A partir de l’étude : Emplacements des Grabens sur Mercure (Triangles = définitifs, Cercles = probables). (Benjamin Man et col./ Nature Geoscience)
La mission conjointe européenne et japonaise BepiColombo, qui doit commencer ses opérations en orbite autour de Mercure en 2026, a maintenant quelques cibles de choix pour son exploration. Bien que BepiColombo n’atterrisse pas à la surface de Mercure et ne fournisse pas de données sismiques, elle permettra d’observer de plus près ces grabens et d’autres caractéristiques de surface, révélant potentiellement des traces de blocs rocheux, les empreintes de récents tremblements de terre sur Mercure. De telles preuves pourraient fournir des indices supplémentaires sur l’activité géologique de la planète la plus proche, ce qui permettrait de mieux percer les secrets de notre énigmatique voisine.
L’étude publiée dans Nature Geoscience : Widespread small grabens consistent with recent tectonism on Mercury et présentée sur le site de l’Open University : Mercury: shrinking planet is still getting smaller – new research.