À des niveaux de CO2 suffisamment élevés, certains nuages commenceront à se désagréger entrainant l’accélération du changement climatique
Une puissante simulation informatique suggère que lorsque les concentrations de CO2 dans l’atmosphère dépassent un certain seuil, certains types de nuages pourraient cesser de se former au-dessus des océans tropicaux. En retour, cela accélérerait encore davantage le réchauffement de la planète, contribuant ainsi à un cercle vicieux qui deviendrait presque impossible à briser.
Les stratocumulus (image d’entête) sont des nuages bas à structure horizontale large, ressemblant à des cumulus, mais beaucoup plus gros. Leur base est bien définie et plate, mais la partie supérieure du nuage est irrégulière en raison de la convection à l’intérieur même du nuage. Selon leur épaisseur, les stratocumulus prennent des teintes de gris clair à gris foncé.
Les stratocumulus couvrent environ 20 % des océans tropicaux et affectent considérablement le bilan énergétique de la Terre : ils réfléchissent de 30 à 60 % du rayonnement à ondes courtes qu’ils émettent vers l’espace. Comme la plupart des nuages, ils se forment lorsque de l’air chaud s’élève de la surface et se refroidit à une altitude plus élevée, entraînant la condensation de la vapeur d’eau.
Cependant, à des concentrations de CO2 très élevées, les stratocumulus peuvent se disloquer. Des chercheurs de la California Institute of Technology (Caltech) ont effectué des simulations informatiques sur un puissant superordinateur pendant deux ans, montrant que la formation de nuages s’effondre lorsque la concentration de CO2 atteint environ 1 200 parties par million (ppm) en raison d’un rayonnement entrant excessif. Par conséquent, il reste peu ou pas de nuages pour réfléchir le rayonnement, ce qui contribue jusqu’à 8°C à 10°C au réchauffement dans les régions subtropicales, en plus de tout réchauffement causé par une importante quantité de carbone dans l’atmosphère.
Issues de la simulation, des concentrations de CO2 supérieures à 1 200 ppm peuvent perturber la formation des nuages strato et amplifier le réchauffement de la planète jusqu’à 10 degrés Celsius. (Caltech)
Bien sûr, si l’atmosphère de la planète présente un jour plus de 1 200 ppm de CO2, nous sommes déjà fichus. Selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), les niveaux moyens de CO2 étaient de 411 ppm en 2018, contre 280 ppm au milieu du XIXe siècle. Depuis l’avènement de la révolution industrielle, les températures moyennes mondiales ont déjà augmenté de 1°C en raison de toutes les émissions de carbone rejetées par les activités humaines dans l’atmosphère.
Selon Tapio Schneider de Caltech, auteur principal de la nouvelle étude :
Je pense et j’espère que les changements technologiques ralentiront les émissions de carbone afin que nous n’atteignions pas de telles concentrations de CO2. Mais nos résultats montrent qu’il existe des seuils de changement climatique dangereux dont nous ignorions l’existence.
Bien sûr, il ne s’agit que d’une simulation, un processus dont la modélisation est notoirement difficile, à savoir la formation de nuages, et le seuil de 1 200 ppm est plus une estimation approximative qu’un chiffre ferme. Néanmoins, les résultats sont intrigants, révélant un mécanisme de rétroaction potentiellement nouveau que les scientifiques n’avaient pas envisagé jusqu’à présent.
L’étude pourrait également résoudre un vieux mystère. Les données géologiques montrent qu’il y a environ 50 millions d’années, à l’Éocène, l’Arctique était libre de glace et peuplé de crocodiles. Pour que l’Arctique soit aussi chaud, il faudrait que les niveaux de CO2 soient supérieurs à 4 000 ppm, c’est-à-dire le double de la concentration connue pendant cette période. Il se pourrait que la perte des stratocumulus explique le point chaud de l’Eocène et dans un avenir pas si lointain, les crocodiles pourraient être de retour dans l’Arctique grâce à nous.
L’étude publiée dans Nature Geoscience : Possible climate transitions from breakup of stratocumulus decks under greenhouse warming et présentée sur le site de Caltech : High CO2 Levels Can Destabilize Marine Layer Clouds.