D’autres preuves que les bactéries " volent " autour du monde pour partager leurs gènes
Le fait que les bactéries puissent partager des gènes entre elles est fascinant et un peu inquiétant, après tout, c’est ainsi qu’elles développent si rapidement une résistance aux antibiotiques. Il est facile de supposer que les microbes doivent être à proximité les uns des autres pour en apprendre des uns des autres… mais ce n’est peut-être pas forcément le cas. Une nouvelle étude génétique de bactéries du monde entier a révélé que les populations isolées partagent des « mémoires moléculaires » incroyablement similaires, ce qui sous-entend qu’elles planent autour du globe pour y répandre leurs gènes.
Image d’entête : pour cette étude, des bactéries ont été prélevées dans cette source chaude de la région d’El Tatio, dans le nord du Chili. (Yaroslav Ispolatov)
Lorsque les bactéries sont infectées par des virus appelés bactériophages, elles arrachent de petits segments de l’ADN de leurs agresseurs et les stockent, afin de se rappeler comment y résister au mieux à l’avenir. Ces fragments peuvent être transmis aux générations suivantes, ce qui permet aux microbes d’évoluer rapidement pour faire face à de nouveaux environnements et menaces.
Ces mémoires moléculaires constituent un enregistrement assez pratique de tous les virus qu’une colonie donnée de bactéries a rencontrés. Pour cette nouvelle étude, des scientifiques de Russie, de France, du Chili et d’Israël ont entrepris d’étudier et de comparer les antécédents génétiques des populations de bactéries isolées.
L’équipe a recueilli de multiples échantillons d’une espèce de bactérie appelée Thermus thermophilus, qui, comme son nom l’indique, prospère dans les environnements chauds. Elles provenaient d’endroits situés à des milliers de kilomètres les une des autres : du Vésuve et de l’Etna en Italie, de deux sources chaudes au nord et au sud du Chili, et des sources chaudes au Kamtchatka, en Russie.
Une source chaude dans la région d’El Tatio au nord du Chili. (Yaroslav Ispolatov)
Les chercheurs ont ensuite analysé les séquences d’ADN stockées de ces différentes populations. Ils s’attendaient à ce que les colonies aient des histoires génétiques très différentes les unes des autres, la logique veut que des virus différents apparaissent dans ces environnements, faisant suivre à la bactérie différentes voies évolutives avec le temps. Mais à leur grande surprise, il y a eu un étrange accord entre eux.
Selon Konstantin Severinov, auteur principal de cette étude :
Ce que nous avons découvert, cependant, c’est qu’il y avait beaucoup de mémoires communes, des morceaux identiques d’ADN viral stockés dans le même ordre dans l’ADN de bactéries provenant de sources chaudes éloignées. Notre analyse peut éclairer des études écologiques et épidémiologiques de bactéries nocives qui partagent des gènes de résistance aux antibiotiques.
La question suivante est évidente : comment des groupes isolés de bactéries peuvent-ils précisément partager ces gènes sur de si longues distances ? Les chercheurs émettent l’hypothèse que les microbes s’envolent vers le ciel.
Toujours selon Severinov :
Nos recherches suggèrent qu’il doit y avoir un mécanisme à l’échelle de la planète qui assure l’échange de bactéries entre des endroits éloignés. Parce que les bactéries que nous étudions vivent dans de l’eau très chaude, environ 71° C, dans des endroits éloignés, il n’est pas possible d’imaginer que des animaux, des oiseaux ou des humains les transportent. Ils doivent être transportés par voie aérienne et ce mouvement doit être très important pour que les bactéries dans les endroits isolés partagent des caractéristiques communes.
Ce n’est pas aussi tiré par les cheveux que ça en a l’air. On pense que les bactéries et les virus font de l’auto-stop sur des particules en suspension dans l’air qui sont emportées dans le ciel, avant de retomber à la surface à des milliers de kilomètres de chez elles, potentiellement sous la pluie. L’année dernière, une étude (décrite ci-dessous) a quantifié cette proportion et elle a constaté que chaque jour, des centaines de millions de microbes tombent par mètre carré.
Les chercheurs ont l’intention d’approfondir l’idée en prélevant des échantillons d’air à différentes altitudes et à différents endroits, et de voir quelles espèces de bactéries ils trouvent.
L’étude publiée dans Philosophical Transactions of the Royal Society B. : Natural diversity of CRISPR spacers of Thermus: evidence of local spacer acquisition and global spacer exchange et présentée sur le site de l’université Rutgers : Bacteria May Travel Thousands of Miles Through the Air Globally.