Quand l’anchois était une terreur des mers
Pour l’anecdote personnelle, le Guru aurait dû publier 5 magnifiques articles hier, qu’il avait mis 20 heures à rédiger et qui ont disparu suite à une panne de disque dur, juste avant de les sauvegardés sur la toile… Dans la nuit suivante, il put redescendre une sauvegarde de son système, mais datant d’il y a 5 jours. Tout cela pour justifier, s’il le fallait, du peu de publications aujourd’hui, les risques du métier…
Avant l’anchoïade et les pizzas, l’anchois était une terreur des mers. Comme le révèlent des fossiles, il y a des millions d’années, des anchois (ou engraulidés), qui mesuraient jusqu’à un mètre de long, chassaient dans les océans avec des crocs brillants et une seule incisive longue et incurvée en forme de sabre dans leur mâchoire supérieure.
Image d’entête : représentation artistique de l’anchois à dents de sabre Monosmilus chureloides, datant de 45 millions d’années, capturé par une des premières baleines dalanistes alors qu’elle chassait un banc de petits anchois. (Joschua Knüppe)
Les fossiles de deux espèces différentes de poissons prédateurs datant de l’époque éocène, il y a 55 millions d’années, ont été identifiés comme étant étroitement liés aux anchois modernes, qui se nourrissent de plante plutôt que de chasser activement leurs proies.
Il s’agit certainement d’une étrange corrélation, mais les paléontologues pensent que l’apparition de ces deux espèces disparues depuis longtemps peut être liée à l’extinction Crétacé-Paléogène qui a anéanti les dinosaures non-aviaires il y a 66 millions d’années.
Les deux fossiles ont été trouvés près de la Belgique et du Pakistan. Le premier, nommé Clupeopsis straeleni, a été décrit pour la première fois en 1946, et mesurait un peu moins d’un demi-mètre de long. Le second a été découvert plus récemment, en 1977, mais il était caché dans une collection de musée. Ce n’est que lorsque l’équipe a fait une étude plus approfondie qu’elle a réalisé qu’il s’agissait d’une espèce jusque-là inconnue. Elle mesurait environ un mètre de long et ses crocs redoutables lui ont inspiré son nouveau nom, Monosmilus chureloides, d’après Churel, le mot ourdou désignant un démon changeant de forme, ressemblant à un vampire et doté de grands crocs.
Le Clupeopsis straeleni. (Capobianco et coll./ Royal Society Open Science)
Bien que les deux anciens poissons diffèrent en taille et en plusieurs caractéristiques physiques mineures, ils étaient remarquablement similaires, notamment à cause de cette seule dent géante.
L’équipe, dirigée par des paléontologues de l’université du Michigan, a soigneusement comparé les deux poissons et plusieurs poissons modernes, pour déterminer que les fossiles trouvés appartenaient à un clade de poissons clupéiformes inconnu jusqu’alors. Il s’agit de l’ordre des poissons à nageoires rayonnées qui comprend les harengs et les anchois.
Mais la plupart des clupéiformes, comprenant les anchois, sont des planctonivores (se nourissant de plancton). Ils n’ont pas de dents vicieuses, ni de mâchoires brutales comme celles du C. straeleni et du M. chureloides. Cela indique un style de chasse prédateur, la seule grande dent étant peut-être utilisée pour empaler ou piéger leur proie.
Qu’est-ce que cela signifie ? Après l’extinction du Crétacé-Paléogène, de nombreuses niches écologiques sont restées vides. La vie qui restait a connu un boom de diversification, avec notamment une expansion massive des poissons à nageoires rayonnées.
Pendant le Crétacé, les restes de requins dominent les fossiles de poissons. Au début du Paléogène, les poissons à nageoires de rayonnées sont passés au premier plan.
Mais cette époque aurait également été très compétitive, toutes les espèces n’ont pas survécu. Il est impossible de savoir exactement comment et pourquoi le C. straeleni et le M. chureloides ont ensuite disparu, mais il est probable qu’ils étaient surpassés par des prédateurs rivaux.
Cela montre bien que la survie des plus forts ne signifie pas toujours que les plus agressifs ont les dents les plus effrayantes.
L’étude publiée dans Royal Society Open Science : Large-bodied sabre-toothed anchovies reveal unanticipated ecological diversity in early Palaeogene teleosts.