Le premier ancien ADN humain découvert sur une importante route migratoire asiatique
Le squelette d’une très ancienne femme, découvert dans une grotte indonésienne en 2015, semble avoir une ascendance différente de celle de tout autre humain trouvé à ce jour. Ses restes ont désormais fourni aux archéologues une image rare des premiers colons à quitter l’Asie continentale et à entreprendre le voyage vers la Nouvelle-Guinée et l’Australie.
Image d’entête : les restes fossilisés de la femme toaléenne désignée Bessé découverts dans la grotte de Leang Panninge situé dans la péninsule sud-ouest de Célèbes. (Université d’Hasanuddin)
L’être humain, âgé d’environ 7 200 ans et surnommé « Bessé », appartenait à une culture de chasseurs-cueilleurs connue sous le nom de Toala’ (culture Toaléenne), dont on pense qu’elle était apparentée aux premiers colons d’Indonésie. Il y a 65 000 ans, pendant la dernière période glaciaire, les ancêtres des Toaléens sont probablement arrivés par la mer depuis l’Asie continentale.
Si la culture toaléenne n’a jamais semblé dépasser l’île indonésienne de Célèbes (Sulawesi en indonésien), il semble que ses descendants aient continué à avancer.
A propos de la carte ci-dessous : Célèbes (Sulawesi) est la plus grande île de la Wallacea, la zone d’îles océaniques située entre les régions continentales d’Asie et d’Australie. Les zones ombragées en blanc représentent les masses terrestres exposées pendant les périodes de baisse du niveau de la mer au Pléistocène supérieur. La frontière Wallace est une importante délimitation biogéographique qui marque l’étendue orientale des mondes végétal et animal distincts de l’Asie. Le site de la grotte de Leang Panninge (où Bessé’ a été trouvé) est situé dans la péninsule sud-ouest de Sulawesi (voir encadré). Les sites archéologiques toaléens n’ont été découverts que dans une zone d’environ 10 000 km² de cette péninsule, au sud du lac Tempe.
(Kim Newman)
C’est en tout cas ce que suggère l’os de l’oreille interne de cette femme toaléenne. Son crâne a fourni le premier ADN humain jamais découvert en Wallacea, l’ancienne région insulaire qui constituait autrefois une passerelle vers la Nouvelle-Guinée et l’Australie.
Selon l’archéologue Adam Brumm de l’université Griffith en Australie :
Ces chasseurs-cueilleurs marins étaient les premiers habitants de Sahul, le supercontinent qui a émergé pendant le Pléistocène (période glaciaire), lorsque le niveau mondial des mers a baissé, exposant un pont terrestre entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée.
Pour atteindre Sahul, ces pionniers humains ont effectué des traversées océaniques à travers la Wallacea, mais on sait peu de choses sur leurs voyages.
De nos jours, les archéologues débattent encore de l’origine des Toaléens et de la date de leur arrivée en Wallacea. Les quelques outils et artefacts qui subsistent de leur ancienne culture semblent être confinés à une toute petite partie de l’île indonésienne, ce qui suggère que la culture était assez petite et isolée.
Une pointe de flèche toaléenne en pierre, connue sous le nom de pointe de Maros. Bien que cette technique de fabrication de la pierre semble avoir été unique à la culture toaléenne, des pointes de projectile similaires ont été produites dans le nord de l’Australie, à Java et au Japon. (Shahna Britton/ Andrew Thomson)
Le crâne de Bessé’ est une des rares preuves qui subsistent. Une minutieuse analyse génomique révèle que cette cueilleuse toaléenne de 17 à 18 ans possède un patrimoine génétique différent de tous les autres humains primitifs étudiés à ce jour. Elle semble être une sorte d’ancien entre-deux, échouée sur une île entre deux supercontinents.
Bessé’ partage environ la moitié de son patrimoine génétique avec les indigènes australiens modernes, ainsi qu’avec des personnes originaires de Nouvelle-Guinée et des îles du Pacifique occidental, ce qui suggère que ses ancêtres ont continué à parcourir les îles après Célèbes.
Il est toutefois intéressant de noter que Bessé’ ne partage aucun ancêtre apparent avec les humains modernes vivant sur l’île. Les chercheurs pensent que les agriculteurs du Néolithique, venus de l’actuelle Taïwan, ont commencé à remplacer la petite culture de Sulawesi il y a environ 3 500 ans. Au 5e siècle de notre ère, cette société n’était plus qu’un souvenir.
Selon Brumm :
La découverte de Bessé’ et les implications de son ascendance génétique montrent à quel point nous comprenons peu de choses sur l’histoire des premiers humains dans notre région, et combien il reste à découvrir.
Par exemple, la femme toaléenne semble avoir de nombreux gènes d’ascendance dénisovienne. Cela prouve clairement qu’il y a eu un croisement important entre les premiers humains modernes et les Dénisoviens en Asie, semblable au croisement entre les Néandertaliens et les humains modernes en Europe.
Ce mélange de gènes s’est produit soit avant la colonisation de la Wallacea sur le continent, soit quelque part dans le Pacifique lui-même.
D’autres îles proches de Célèbes (Sulawesi) ont révélé la présence d’anciens chasseurs-cueilleurs sans ascendance apparente de dénisovien, ce qui suggère que Sulawesi ou une autre île de Wallacea pourrait avoir été un lieu déterminant où les humains archaïques et modernes ont mélangé leurs gènes.
Selon les chercheurs :
La présence apparente d’une population d’hominidés archaïques établie de longue date dans le sud-ouest de Sulawesi fournit une source possible pour l’événement d’introgression.
Deux précédentes études ont suggéré que deux lignées de Dénisoviens profondément divergentes se sont mélangées aux ancêtres des individus papous, mais nos données génomiques n’ont actuellement pas une résolution suffisante pour distinguer entre une ou plusieurs impulsions d’introgression.
De ce que nous savons pour l’instant, les ancêtres en Papouasie-Nouvelle-Guinée ne semblent pas avoir un pourcentage aussi élevé de gènes dérivés de Dénisovien que la femme toaléenne. Cela suggère que les gènes de Dénisovien se sont dilués à mesure que l’humain s’éloignait de l’Asie.
Mais ce n’est qu’une idée. Il faudrait beaucoup plus de preuves génétiques avant de pouvoir retracer correctement l’histoire des migrations humaines en Asie-Pacifique.
L’étude publiée dans Nature : Genome of a middle Holocene hunter-gatherer from Wallacea et présentée sur le site de l’Université Griffith : First ancient human DNA from the islands between Asia and Australia.