Examens dentaires fossiles : sur l’origine des défenses
Si vous collez le bec d’une tortue sur un bébé hippopotame. Puis tordez ses pattes avant pour qu’elles dépassent de chaque côté, mais gardez ses pattes arrière droites. Et donnez-lui des défenses. Et voilà, vous avez quelque chose qui ressemble un peu à un prototype d’animal ressemblant à un mammifère qui errait sur Terre il y a des centaines de millions d’années.
Image d’entête : reconstitution du dicynodonte Dicynodon. Outre les défenses de la mâchoire supérieure, la plupart des dicynodontes possédaient un bec en forme de tortue qu’ils utilisaient pour mâcher leur nourriture. (Marlene Hill Donnelly)
Ces créatures sont appelées dicynodontes, un terme qui signifie « deux dents de chien », en référence à l’impressionnante paire de canines qui dépassent de la bouche de l’animal. Et ce sont ces dents qui pourraient nous expliquer pourquoi on ne trouve jamais de défenses sur les animaux à plumes ou à écailles.
Selon Megan Whitney, chercheuse en biologie de l’évolution à l’université Harvard (États-Unis) :
Les défenses sont une anatomie très connue, mais avant de commencer à travailler sur cette étude, je n’avais jamais vraiment réfléchi au fait que les défenses étaient limitées aux mammifères.
À proprement parler, les dicynodontes ne sont pas des mammifères, mais appartiennent à un groupe éteint de parents appelés thérapsides.
Leur aire de répartition et leur diversité ont fluctué du Permien jusqu’à leur extinction au Trias, il y a environ 200 millions d’années. Leur taille allait de celle d’un animal que l’on peut tenir dans la main à celle d’un Lisowicia (ci-dessous).
Reconstruction à l’échelle humaine du Lisowicia bojani. (Nobu Tamura/ Wikimedia)
Ils étaient également très performants, mettant à profit leur mélange d’anatomie dans toute une série de niches écologiques.
Ces dents saillantes ont attiré beaucoup d’attention depuis que les premiers fossiles de dicynodontes ont été examinés à la loupe, il y a plus de 150 ans. Le célèbre paléontologue Richard Owen a donné le premier véritable aperçu de ces dents en 1845, affirmant qu’elles étaient principalement constituées de dentine/ ivoire, avec de fines couches d’émail et de cément, et une cavité pulpaire plutôt ouverte.
Crâne du dicynodonte Dolichuranus, provenant de Tanzanie. La grande défense est visible en bas à gauche. (Ken Angielczyk)
Depuis, des études sur d’autres spécimens ont mis en évidence l’absence de dentine, suggérant que, comme les dents de lapin (et, d’ailleurs, les défenses d’animaux modernes comme les éléphants et les morses), les canines n’ont pas cessé de croître. Du moins chez certaines espèces.
Il est important de comprendre précisément comment les dents poussent si l’on veut savoir comment se comportait un animal éteint. Mais cela pose également une intéressante question philosophique, qui a des conséquences sur la compréhension de notre propre évolution.
Selon Whitney :
Pour cette étude, nous avons dû définir le terme « défense », car il est étonnamment ambigu.
Pour que nous soyons tous sur la même longueur d’onde, voici ce qu’ils ont trouvé.
En général, lorsqu’on parle de défenses, on fait référence à des dents qui sortent très loin de la cavité buccale. Pensez aux morses et aux mammouths, sans oublier les phacochères et les mammifères beaucoup plus petits appelés damans.
Pour que leurs dents se distinguent des mâchoires d’un crocodile, les vraies défenses sont caractérisées par une croissance continue, ce qui les rend littéralement longues comme le bras.
Qu’en est-il des rats et des lapins ? Leurs longues dents peuvent continuer à pousser, mais elles sont constamment recouvertes d’une surface résistante appelée émail.
Les défenses ne sont pas concernées. Les recouvrir d’émail contribuerait certainement à les rendre plus résistantes, mais leurs angles obliques font qu’il est pratiquement impossible pour un organisme de déposer un revêtement cohérent. Enfin, les défenses sont fermement maintenues en place par un ligament qui les aide à supporter les chocs occasionnels.
Toutes ces caractéristiques reflètent l’utilisation et les atteintes subies par les défenses, contrairement à la plupart des autres dents. Elles sont couramment utilisées pour creuser dans la boue et pour combattre les rivaux et les prédateurs. Elles doivent donc être suffisamment résistantes pour accomplir cette tâche tout en se régénérant facilement lorsqu’elles sont endommagées.
En examinant une série de dents de dicynodontes, les chercheurs ont fait écho à de précédentes constatations d’une variété considérable parmi les fameuses anciennes canines. Non seulement les vraies défenses étaient plus susceptibles d’être trouvées chez les nouvelles espèces de dicynodontes, mais elles avaient évolué indépendamment des autres dans tout leur arbre généalogique.
Fragments de défense isolés trouvés en Zambie en 2018. (K. Angielczyk/ Ken Angielczyk)
En connaissant les étapes de l’évolution des dents chez ces anciens animaux, ainsi qu’une définition claire des caractéristiques de la défense, nous comprenons mieux pourquoi elles n’apparaissent pas chez les lézards, les poissons ou les amphibiens.
Selon Ken Angielczyk, conservateur au Field Museum de Chicago :
Par exemple, cette étude montre que des taux réduits de remplacement des dents et un ligament flexible attachant la dent à la mâchoire sont nécessaires pour que les véritables défenses évoluent. Tout cela nous permet de mieux comprendre les défenses que nous observons aujourd’hui chez les mammifères.
L’étude publiée dans The Proceedings of the Royal Society B Biological Sciences : The evolution of the synapsid tusk: insights from dicynodont therapsid tusk histology et présentée sur le site du Field Museum : Fossil dental exams reveal how tusks first evolved.