Opium du peuple : pendant des siècles, les élites péruviennes utilisaient de l’alcool et des drogues pour consolider leur empire
Selon une nouvelle étude, les élites de l’ancienne civilisation Huari (ou Wari) au Pérou, qui a régné sur les hautes terres du pays de 600 à 1 000 ans après J.-C., utilisaient des drogues et de la bière pour maintenir leur emprise politique pendant des milliers d’années. Les archéologues pensent que des hallucinogènes provenant d’un arbre indigène étaient ajoutés à la bière lors de leurs grands festins.
Image d’entête : à droite, stèle de Ponce à Tiahuanaco représentant un individu d’élite tenant une tasse et une tablette à priser. A gauche, représentation du dieu Huari , avec des branches d’arbre et des cosses de graines jaillissant de la tête, tel qu’il est représenté sur un récipient Huari. (J. Ochatoma Paravicino/ M. E. Biwer et col. /Antiquity)
De précédentes études ont mis en évidence le rôle que jouait la chicha, une boisson semblable à la bière encore consommée aujourd’hui dans de nombreux pays andins, dans la culture des Huari, une civilisation qui s’est épanouie dans le centre-sud des Andes et la zone côtière de l’actuel Pérou, et qui avait l’habitude d’organiser de grandes fêtes pour ses voisins. Aujourd’hui, la découverte d’un arbre psychotrope dans une brasserie Huari suggère qu’ils combinaient les deux substances enivrantes pour obtenir un meilleur effet.
Des archéologues du Musée royal de l’Ontario au Canada ont fait cette découverte à Quilcapampa, un ancien village Huari du Pérou, où les restes de ce que les habitants buvaient et mangeaient ont été préservés grâce à l’environnement aride. Ils ont trouvé des traces de pommes de terre, de quinoa et du faux-poivrier (Schinus mole), utilisé pour fabriquer de la chicha avec une teneur en alcool de 5%.
(M. E. Biwer et col. /Antiquity)
Jusque-là, rien de spectaculaire. Mais parmi les restes, les chercheurs ont trouvé des graines hallucinogènes de vilca, l’arbre Anadenanthera colubrina. De précédentes études suggèrent que ces graines étaient couramment utilisées en Amérique du Sud. La plus ancienne preuve, une pipe contenant les graines, provient d’un site du nord de l’Argentine datant de 4 000 ans.
Les Huari sont arrivés à Quilcapampa à la fin du neuvième siècle. Un groupe de familles migrantes provenant des terres centrales situées plus au nord s’est installé dans la région et a probablement introduit la pratique consistant à combiner la chicha avec des graines de vilca pour renforcer les alliances avec les communautés non Huari. C’était une stratégie pour se faire des amis et aussi pour consolider le pouvoir politique.
Une des quelques graines de vilca trouvées sur le site. (M. Biwer/ M. E. Biwer et col. /Antiquity)
Selon les chercheurs :
Nos fouilles à Quilcapampa ont permis de retrouver des graines de vilca, probablement importées, en association directe avec de grandes quantités de molle utilisées pour créer la bière d’un festin qui s’est tenu juste avant l’abandon du site. C’était l’un des nombreux événements de ce type organisés par les familles associées aux Wari de Quilcapampa.
A partir de l’étude : Drupes (fruits) de faux-poivrier (molle) carbonisées présentant des preuves de l’ébullition et/ou du trempage pour la préparation de la chicha molle (échelle en mm ; photo de M. Biwer). (M. E. Biwer et col. /Antiquity)
Semblable à la drogue ayahuasca, utilisée par les communautés amazoniennes, la vilca entraîne une expérience de décorporation (hors du corps). Les graines, l’écorce et d’autres parties de l’arbre contiennent des alcaloïdes tryptamine, dont la substance psychédélique DMT. Comme les effets sont affaiblis en cas d’ingestion, les Huari fumaient généralement les graines ou les réduisaient en poudre pour en faire du tabac à priser, selon l’équipe.
Le faux-poivrier ou arbre molle utilisé pour fabriquer la chicha poussait près de la colonie. Mais ce n’était pas le cas des graines de vilca, qui devaient être importées des frontières orientales des Andes et transportées à travers les montagnes. Les archéologues ont trouvé à Quilcapampa des récipients à boisson peints des Huari qui représentent l’arbre vilca avec ses cosses caractéristiques.
Selon les chercheurs, le vilca était incorporé dans les repas communautaires organisés par les élites. Cela contribuait à cimenter les relations sociales et à mettre en valeur l’hospitalité des Huari . Ils offraient à leurs visiteurs une expérience qui n’était pas disponible ailleurs et ne pouvait pas être reproduite facilement, car la région proche de Quilcapampa était trop sèche pour faire pousser du vilca.
Toujours selon les chercheurs :
Nous soutenons que l’ajout de vilca à la molle chicha était une méthode efficace pour les hôtes des fêtes Huari de canaliser ses effets psychotropes dans une expérience plus collective. Un hôte qui fournit de l’alcool et de la nourriture à ses invités renforce les relations “patron-client”, forgeant une dette qui confirme un rang élevé.
L’étude publiée dans la revue Antiquity : Hallucinogens, alcohol and shifting leadership strategies in the ancient Peruvian Andes.