Des vertèbres humaines enfilées sur des bâtons découverts dans un site funéraire vieux de 500 ans au Pérou
En explorant des tombes au Pérou, des archéologues ont eu la surprise de trouver plus de 200 roseaux liés à des vertèbres humaines. Ces étranges coutumes funéraires, qui datent du 16e siècle, ont donné lieu à toutes sortes de spéculations quant à leur but. Bien qu’à première vue, cette manipulation de restes humains ressemble à une profanation des ennemis tombés au combat, une nouvelle étude suggère le contraire. Selon des archéologues britanniques, colombiens et américains, ces « vertèbres sur piquets » sont une réponse à la destruction de tombes pratiquée à grande échelle par les conquistadors espagnols au début de la colonisation de l’Amérique du Sud, un acte désespéré des communautés indigènes andines locales de récupérer les restes de leurs ancêtres.
Image d’entête : quelques-unes des vertèbres sur roseau qui ont été trouvées dans les Andes. (C. O’Shea/ Antiquity)
Les étranges poteaux de roseau enfilés avec des vertèbres ont été découverts pour la première fois en 2012 lors d’une expédition archéologique dans la vallée de Chincha, au Pérou, à l’intérieur des ruines de chambres funéraires en pierre appelées chullpas. Parmi l’équipe se trouvait Jacob Bongers, qui, à l’époque, était encore un étudiant diplômé. Pendant des années, Bongers est retourné sur le site, examinant les chullpas de toute la vallée, qui faisait autrefois partie d’une nation prospère connue sous le nom de royaume Chincha, avant son incorporation au puissant empire Inca pendant la période de l’Horizon tardif (après 1400 après JC).
Localisation de la vallée de Chincha, au Pérou. (Jacob L. Bongers et col./ Antiquity)
Aujourd’hui archéologue à la Sainsbury Research Unit de l’université d’East Anglia au Royaume-Uni, Bongers a répertorié 192 exemples individuels de vertèbres sur piquets, avec des os appartenant aussi bien à des enfants qu’à des adultes. L’un des ensembles comportait même un crâne enfilé. Il n’y a pas de traces de coupures, ce qui suggère que les os ont été placés sur les bâtons après que les restes du squelette aient été exposés, et les vertèbres ne sont pas enfilées dans leur ordre naturel.
Au début, les scientifiques ont pensé que ces vertèbres enfilées étaient l’objet d’une mauvaise blague de la part des pilleurs. Mais au fur et à mesure qu’ils en trouvaient, il est devenu évident qu’il y avait plus que cela et qu’une pratique funéraire systématique et unique se révélait sous leurs yeux. Des entretiens avec des habitants qui avaient rencontré des sépultures similaires ont confirmé que les piquets filetés de vertèbres n’avaient pas été réalisés par des pilleurs et qu’ils étaient probablement très anciens. Personne n’a pu leur dire à quel point.
Dans une étude publiée cette semaine (lien plus bas), Bongers et ses collègues internationaux ont procédé à la datation au radiocarbone de certains des échantillons, et ils ont découvert qu’ils avaient environ 500 ans, soit entre 1520 et 1550 de l’ère chrétienne. Cette datation replace les vestiges dans un contexte historique brutal, à l’époque où les premiers colons européens menaient une campagne active pour effacer la culture inca, en particulier les pratiques religieuses andines qui étaient considérées comme hérétiques. Pour Bongers, ce contexte peut servir à expliquer les bâtons de roseau des chullpas : les restes dans un état de décomposition avancé étaient enfilés sur des poteaux de bois délibérément pour les transporter et les stocker dans d’autres tombes plus éloignées où ils seraient épargnés de la profanation des étrangers.
A partir de l’étude : trouvé à l’intérieur d’un chullpa, ce piquet fileté de vertèbre était inséré dans un crâne, le seul cas d’une telle disposition. (Jacob L. Bongers et col./ Antiquity)
La période coloniale fut dévastatrice pour les Chincha, dont la population a chuté de plus de 30 000 chefs de famille en 1533 à seulement 979 en 1583 à cause d’une combinaison de maladies, de famines et de meurtres. Le pillage des tombes était également très répandu, comme le relate l’historien péruvien Pedro Cieza de León, qui écrit :
Il y avait un nombre énorme de tombes dans cette vallée, dans les collines et les terrains vagues. Beaucoup d’entre elles ont été ouvertes par les Espagnols, qui en ont retiré de grandes quantités d’or.
Selon Bongers :
Lorsque les Espagnols sont venus et ont pillé ces tombes, ils déchirent des paquets de textile et cherchent de l’or, ils cherchent de l’argent. Vous pouvez imaginer que c’est un acte assez violent, des corps et des parties de corps sont éparpillés partout.
Le pillage était considéré comme une grande transgression, peut-être bien plus grande que dans d’autres cultures étant donné la relation particulière que les sociétés andines entretenaient avec leurs morts. À partir du deuxième millénaire avant notre ère, et peut-être bien avant, les traditions culturelles des Andes impliquaient souvent le retrait et la modification de parties de corps humains morts. Il s’agit notamment d’enlever les mains de vieux restes et de les déposer ailleurs en guise d’offrandes, ainsi que des trophées comme les têtes de Nazca, des tambours fabriqués à partir de peaux humaines, des crânes taillés en gobelets, etc.
Il était également courant de conserver les restes momifiés des membres de la famille à l’air libre, dans les foyers ordinaires comme dans les palais. Ces tombes ouvertes et publiques invitaient la communauté à vénérer leurs ancêtres en déposant des offrandes ou, à certaines occasions, en faisant défiler les restes lors de célébrations.
Pour les conquistadors européens et leur mentalité judéo-chrétienne, il s’agissait de spectacles inacceptables et hérétiques.
L’étude publiée dans la revue Antiquity : Assembling the dead: human vertebrae-on-posts in the Chincha Valley, Peru et présentée sur le site de de l’université d’East Anglia : ‘Threaded bone’ rituals restored dignity after looting of Indigenous graves.