Les petits vers prennent aussi des décisions complexes
De nouvelles recherches menées par le Salk Institute aux États-Unis ont permis d’étudier comment de minuscules vers nématodes, dotés de seulement 302 neurones, parviennent à prendre des décisions complexes.
Les chercheurs se sont concentrés sur deux espèces : Caenorhabditis elegans, un organisme modèle populaire pour les expériences biologiques, et son parent moins connu, Pristionchus pacificus.
GIF d’entête, à partir de l’étude : Un C. elegans adulte se précipite hors d’un dépôt de bactéries après avoir été mordu par un P. pacificus. (Kathleen T. Quach et col./ Current Biology)
En termes écologiques, le C. elegans est à la fois un concurrent et une proie pour le P. pacificus. Les deux espèces se nourrissent principalement de bactéries, mais le P. pacificus est également connu pour attaquer et manger le C. elegans à l’occasion, surtout lorsque cette dernière espèce est à l’état de minuscule larve immature. Le P. pacificus peut également mordre des C. elegans adultes, mais il est moins probable qu’il réussisse à tuer et à manger le ver adulte.
A partir de l’étude : (A) Adulte P. pacificus. (B) Adulte C. elegans. (C) Larve de C. elegans. (D) P. pacificus mordant la larve de C. elegans.(E) Larve de C. elegans après la morsure fatale. (F) P. pacificus mordant un C. elegans adulte. (G) C. elegans adulte échappant à une morsure non mortelle. (Kathleen T. Quach et col./ Current Biology)
Les chercheurs ont découvert que, contrairement aux échecs de la chasse, les incidents au cours desquels le P. pacificus mordait un C. elegans adulte faisaient en réalité partie d’une stratégie distincte visant à défendre son territoire et à protéger une proie bactérienne contre un concurrent.
Selon la première auteure, Kathleen Quach, postdoctorante au Salk Institute :
Les scientifiques ont toujours supposé que les vers étaient simples, et que lorsque le P. pacificus mordait, nous pensions que c’était toujours dans un but unique de prédation.
En réalité, le P. pacificus est polyvalent et peut utiliser la même action, mordre le C. elegans, pour atteindre différents objectifs à long terme.
Les chercheurs ont étudié le comportement des deux espèces en fonction de plusieurs paramètres différents, comme le fait que le C. elegans soit larvaire ou adulte, la présence et l’abondance de sources de nourriture bactériennes et leur emplacement.
Ils ont constaté que la probabilité que le P. pacificus morde les larves de C. elegans était la plus élevée lorsque l’abondance bactérienne était faible et qu’elle diminuait lorsque l’abondance bactérienne augmentait. En revanche, la probabilité de morsure de C. elegans adultes était faible lorsque les bactéries étaient absentes, plus élevée lorsque les bactéries étaient présentes en faible abondance, puis diminuait avec l’augmentation de l’abondance des bactéries.
Les chercheurs pensent que cela illustre les deux stratégies de morsure distinctes utilisées à des fins différentes. Le P. pacificus préfère les proies bactériennes, mais mord les larves de C. elegans pour s’en nourrir plus souvent lorsque les sources de nourriture bactérienne sont faibles. D’autre part, la morsure des C. elegans adultes est favorisée lorsque la concurrence est forte pour leur source de nourriture bactérienne commune, mais elle est d’une utilité négligeable pour le P. pacificus s’il n’y a pas de bactéries à se disputer.
Ver C. elegans (à droite) échappant au ver prédateur P. pacificus (à gauche). (Salk Institute)
Enfin, l’équipe a examiné les éventuels mécanismes de signalisation neuronale impliqués dans la régulation du comportement de morsure. Ils ont découvert que le traitement du P. pacificus avec un médicament qui bloque les récepteurs dopaminergiques D2 augmente la morsure pour le territoire, tandis que le blocage des récepteurs à l’octopamine fait passer les vers d’une stratégie de morsure de territoire à une stratégie de prédation.
Pourquoi étudier le processus décisionnel des nématodes ?
Selon l’auteur principal, Sreekanth Chalasani, professeur associé au laboratoire de neurobiologie moléculaire du Salk Institute :
Notre étude montre qu’il est possible d’utiliser un système simple comme le ver pour étudier quelque chose de complexe, comme la prise de décision orientée vers un objectif. Nous avons également démontré que le comportement peut nous en apprendre beaucoup sur le fonctionnement du cerveau.
Même des systèmes simples comme les vers ont différentes stratégies, et ils peuvent choisir entre ces stratégies, en décidant laquelle leur convient le mieux dans une situation donnée. Cela fournit un cadre pour comprendre comment ces décisions sont prises dans des systèmes plus complexes, comme les humains.
Des recherches plus poussées sur la prise de décision chez ces minuscules vers pourraient également améliorer notre capacité à encoder des capacités de décision complexes dans de petits réseaux neuronaux artificiels.
L’étude publiée dans Current Biology : Flexible reprogramming of Pristionchus pacificus motivation for attacking Caenorhabditis elegans in predator-prey competition et présentée sur le site du Salk Institute : Tiny worms make complex decisions, too.