Comment le terrifiant ver américain développe-t-il des crocs en métal ?
Sortis tout droit d’un film d’horreur, les vers américains Glycera dibranchiata ont une peau pâle qui laisse transparaître leurs fluides corporels rouges et ils sont connus pour leur étrange mâchoire/ crocs. Celles-ci sont constituées de protéines, de mélanine et de concentrations de cuivre, une caractéristique que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le règne animal.
Image d’entête : à partir d’une précédente étude, micrographie SEM de la trompe du ver Glycera. (Pontin et col./ PNAS)
Pour la première fois, des scientifiques ont découvert comment ces vers utilisent le cuivre récolté dans les sédiments marins pour former leurs crocs, en identifiant une nouvelle protéine multitâche décrite dans une étude publiée cette semaine (lien plus bas).
Ces vers de 35 centimètres de long peuvent s’enfouir dans la boue intertidale (là où l’océan rencontre la terre entre les marées hautes et basses) à une profondeur de plusieurs mètres.
Ils se nourrissent en retournant leur proboscis ou trompe, un organe de succion tubulaire extensible, équipée de quatre crocs noirs et creux qui s’accrochent et injectent un venin paralysant à d’autres créatures malchanceuses pendant la chasse et le combat.
A partir de l’étude : à gauche, le proboscis inversé du Glycera dibranchiata avec ses quatre crochets visibles. A droite, image au microscope électronique à balayage d’un croc de Glycera (échelle, 0,5 mm). (Wonderly et col./ Matter)
Selon le professeur Herbert Waite, biochimiste à l’université de Californie à Santa Barbara, aux États-Unis, qui a coécrit cette étude :
Ce sont des vers très désagréables dans la mesure où ils ont mauvais caractère et sont facilement provoqués. Lorsqu’ils rencontrent un autre ver, ils se battent généralement en utilisant leurs mâchoires en cuivre comme armes.
Ces tubes pointus sont également capables de percer directement un exosquelette. Les crocs doivent donc être suffisamment solides et résistants pour durer tout au long des cinq années de vie des vers américains, puisqu’ils ne se forment qu’une seule fois.
Le laboratoire de Waite étudie ces vers depuis 20 ans, mais ce n’est que récemment qu’il a pu observer l’ensemble du processus chimique de formation des mâchoires, du début à la fin.
Ce processus repose sur une protéine qu’ils ont identifiée pour la première fois, un composé riche en acides aminés d’histidine et de glycine appelé “protéine multitâche” (MTP pour multi-tasking protein), qui remplit six fonctions distinctes essentielles à la formation et à la fonction des mâchoires et agit comme la principale protéine structurelle des crocs des vers Glycera dibranchiata.
La MTP mobilise des ions de cuivre (Cu2+) pour former un complexe, puis se concentre en un liquide visqueux, riche en protéines, à forte teneur en cuivre et à séparation de phase de l’eau (pensez à la façon dont l’huile et l’eau ne se mélangent pas). La protéine utilise ensuite le cuivre pour catalyser la conversion du dérivé d’acide aminé DOPA (dihydroxyphénylalanine) en polymères de mélanine. Elle intègre ensuite la mélanine et elle-même dans des films fins et des fibres.
Tout cela confère à la mâchoire des propriétés mécaniques qui ressemblent à celles des métaux manufacturés.
Résumé graphique de l’étude. (Wonderly et col./ Matter)
Tel un mauvais génie, le ver est capable d’utiliser ce processus pour synthétiser facilement un matériau qui, s’il était créé en laboratoire, nécessiterait un processus compliqué impliquant de nombreux appareils, solvants et températures différents.
Selon Waite :
Nous ne nous attendions pas à ce qu’une protéine à la composition aussi simple, c’est-à-dire composée principalement de glycine et d’histidine, puisse remplir autant de fonctions et d’activités sans rapport entre elles.
L’équipe interdisciplinaire espère qu’en parvenant à mieux comprendre comment le ver gère son laboratoire de transformation autonome, cela pourrait aider à rationaliser des aspects de la production qui profiteraient à l’industrie.
Toujours selonWaite :
Ces matériaux pourraient indiquer la voie à suivre pour fabriquer et concevoir de meilleurs matériaux de consommation.
L’étude publiée dans la revue Matter : A multi-tasking polypeptide from bloodworm jaws: Catalyst, template, and copolymer in film formation.