La science qui sous-tend l’hydratation du rectum de coléoptères pourrait sauver les cultures mondiales
Une espèce animale sur cinq sur Terre est un coléoptère. Environ 400 000 espèces sont officiellement décrites, mais les scientifiques pensent qu’il pourrait y avoir sur Terre jusqu’à 1,5 million d’espèces différentes de ces petites bestioles résistantes. Avec une durée de vie courte, de quelques semaines à quelques années, ils ont développé d’astucieux mécanismes de survie.
Par exemple, les ténébrions ont la capacité de produire un lubrifiant pour les segments de leurs pattes, afin de lutter contre le dessèchement des articulations de leur exosquelette dû à l’environnement, tandis que l’explosion toxique de l’arrière-train bouillant du coléoptère bombardier est une arme redoutablement efficace.
À présent, des scientifiques ont découvert comment les coléoptères ouvrent leur rectum pour s’hydrater et pour extraire l’eau de nombreuses sources, même de l’air qui les entoure, ce qui leur permet de survivre dans des environnements extrêmement secs, inhospitaliers pour les autres animaux, et qui a certainement contribué à leur existence depuis 500 millions d’années sur une planète en constante évolution.
Selon le chercheur principal Kenneth Veland Halberg, professeur associé au département de biologie de l’université de Copenhague, au Danemark :
Nous avons jeté un nouvel éclairage sur les mécanismes moléculaires qui permettent aux coléoptères d’absorber de l’eau par voie rectale. Un coléoptère peut passer tout son cycle de vie sans boire d’eau liquide. Cela est dû à leur rectum modifié et à leurs reins étroitement liés, qui forment ensemble un système multi-organes hautement spécialisé dans l’extraction de l’eau de la nourriture qu’ils mangent et de l’air qui les entoure. En fait, ce système est si efficace que les échantillons de selles que nous avons examinés étaient complètement secs et ne contenaient aucune trace d’eau.
Coupe microscopique de l’intestin postérieur du coléoptère. L’image montre les selles sèches en magenta entourées du rectum en gris. Le tubule malpighien du coléoptère est représenté en violet. (Kenneth Veland Halberg/ Université de Copenhague)
L’étude menée en collaboration par des chercheurs de l’université de Copenhague, de l’université d’Édimbourg et de l’université de Glasgow a examiné les organes internes du tribolium rouge de la farine (Tribolium castaneum), qui est biologiquement similaire à d’autres espèces. Ils ont découvert que le gène Nha1 était exprimé 60 fois plus dans le rectum que partout ailleurs dans le corps de l’animal, et qu’il était localisé dans un groupe unique de cellules appelées cellules leptophragmata. Il s’est avéré qu’elles jouaient un rôle essentiel dans l’absorption incroyablement efficace de l’eau dans le rectum de l’animal.
Selon Halberg :
Les cellules leptophragmata sont de minuscules cellules situées comme des fenêtres entre les reins du coléoptère et le système circulatoire de l’insecte, c’est-à-dire le sang. Comme les reins du coléoptère encerclent son intestin postérieur, les cellules leptophragmata fonctionnent en pompant des sels dans les reins afin que les insectes soient capables d’extraire l’eau de l’air humide par leur rectum et de là, dans leur corps. Le gène que nous avons découvert est essentiel à ce processus, ce qui constitue une découverte pour nous.
Comme les reins du coléoptère entourent son intestin postérieur, les cellules du leptophragmata fonctionnent en pompant des sels dans les reins afin que les coléoptères puissent récupérer l’eau de l’air humide par leur rectum et, de là, dans leur corps. (Université de Copenhague)
Lorsque l’équipe a réduit au silence l’expression du gène Nha1, les coléoptères ont vu leur perte d’eau excrétoire augmenter de façon spectaculaire et ils n’ont pas survécu dans des conditions de sécheresse qui étaient auparavant habitables.
Outre le fait de mieux comprendre l’un des plus impressionnants phénomènes naturels de survie en milieu aride, les scientifiques pensent que cette découverte permettra de mettre au point des méthodes respectueuses de l’environnement pour contrôler les populations de coléoptères ravageurs qui menacent la sécurité alimentaire.
Le tribolium rouge de la farine, le charançon du blé, le tribolion brun de la farine et le doryphore de la pomme de terre, entre autres, détruisent environ 25 % de l’approvisionnement alimentaire mondial chaque année, et 100 milliards d’euros sont dépensés chaque année en pesticides. Ces produits nuisent à leur tour aux espèces utiles telles que les abeilles, ainsi qu’à l’environnement dans son ensemble.
Étant donné que les coléoptères peuvent extraire du liquide de grains secs avec seulement 1 à 2 % d’eau, le développement de moyens permettant d’inhiber leur capacité génétique à absorber cette eau et d’autres sources d’hydratation pourrait rendre ces environnements inhabitables pour eux.
Toujours selon Halberg :
Les insectes sont particulièrement sensibles aux changements dans leur équilibre hydrique. Ces connaissances peuvent donc être utilisées pour mettre au point des méthodes plus ciblées de lutte contre les espèces de coléoptères qui détruisent notre production alimentaire, sans tuer d’autres animaux ni nuire à l’homme et à la nature.
Nous savons maintenant exactement quels sont les gènes, les cellules et les molécules qui interviennent dans le coléoptère lorsqu’il absorbe de l’eau dans son rectum. Cela signifie que nous savons maintenant comment perturber ces processus très efficaces, par exemple en mettant au point des insecticides qui ciblent cette fonction.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Science : NHA1 is a cation/proton antiporter essential for the water-conserving functions of the rectal complex in Tribolium castaneum et présentée sur le site de la Faculté de science de l’Université de Copenhague : Researchers get to the “bottom” of how beetles use their butts to stay hydrated.