Des scientifiques découvrent une phéromone qui contrôle le cannibalisme chez les criquets migrateurs
Des chercheurs ont identifié une phéromone qui empêche les essaims massifs de criquets migrateurs de se dévorer les uns les autres.
Image d’entête : un essaim de criquets migrateurs à Madagascar. (Michel Lecoq/ Wikimedia)
Jusqu’à présent, les scientifiques soupçonnaient depuis longtemps que le cannibalisme au sein des essaims de criquets contribuait à leur comportement d’essaimage, les individus étant constamment en mouvement pour éviter les membres de la même espèce (conspécifiques) désireux de les dévorer.
Une nouvelle étude (lien plus bas) a permis d’identifier une phéromone appelée phénylacétonitrile (PAN), que les criquets produisent dans des conditions de forte affluence pour dissuader leurs congénères, ainsi que le récepteur olfactif qui la reconnaît.
Le cannibalisme ayant un impact majeur sur la dynamique des essaims de criquets, cette découverte ouvre de nouvelles possibilités de lutte contre ces insectes qui ravagent les cultures.
Selon le professeur Bill Hansson, directeur du département de neuroéthologie évolutive de l’Institut Max Planck, en Allemagne, qui a dirigé l’étude :
Si l’on inhibe la production de PAN ou la fonction du récepteur [PAN], on peut amener les criquets à se comporter de manière plus cannibale et potentiellement à se contrôler de cette manière.
Dans certaines circonstances, les criquets migrateurs deviennent plus abondants et subissent des changements dans leur morphologie et leur comportement qui conduisent à l’essaimage.
Un essaim de criquets migrateurs à Meru, au Kenya. (Yasuyoshi Chiba)
Selon le premier auteur, le Dr Hetan Chang, chercheur à l’Institut Max Planck d’écologie chimique :
Dans la plupart des cas, les criquets sont en phase solitaire, c’est-à-dire qu’ils évitent tout contact physique avec leurs congénères et consomment relativement peu de nourriture. Si la densité de population augmente en raison des pluies et d’une alimentation suffisante, les criquets changent de comportement en quelques heures : ils peuvent se sentir, se voir et se toucher. Ces trois types de stimulation augmentent les niveaux de sérotonine et de dopamine dans le cerveau des criquets, ce qui fait que les criquets solitaires deviennent des criquets grégaires agressifs, très actifs et ayant un grand appétit.
Ils libèrent également des phéromones d’agrégation, qui finissent par provoquer l’essaimage et constituent une menace considérable pour la production agricole. Le cannibalisme ne se produit que dans la phase grégaire.
Un criquet migrateur Locusta migratoria mangeant un congénère. (Benjamin Fabian/ Institut Max-Planck d’écologie chimique)
Les phéromones sont des signaux chimiques sécrétés par les organismes pour communiquer avec les membres de la même espèce. Elles peuvent avoir un effet immédiat sur le comportement ou affecter la physiologie et produire un effet après un certain temps.
Selon Hansson :
Nous nous sommes demandé comment ces insectes s’influencent mutuellement au sein d’immenses essaims et si l’olfaction joue un rôle.
Dans une série d’expériences comportementales avec le criquet migrateur Locusta migratoria, l’équipe a montré que le taux de cannibalisme augmentait avec le nombre de criquets grégaires maintenus dans une cage.
En analysant et en comparant toutes les odeurs émises par les jeunes criquets solitaires et grégaires, ils ont identifié que, sur les 17 odeurs produites uniquement dans la phase grégaire, seule PAN dissuadait les autres criquets.
Selon Chang :
Nous avons montré qu’à mesure que la densité de population augmentait, non seulement le niveau de cannibalisme augmentait, mais les animaux produisaient également plus de PAN. Grâce à l’édition du génome, nous avons pu neutraliser une enzyme responsable de la production de ce composé. Cela nous a permis de confirmer son fort effet anti-cannibalisme, car le cannibalisme a de nouveau augmenté de manière significative lorsque les animaux n’étaient plus en mesure de produire le composé.
La partie la plus difficile de l’ensemble du processus fut l’identification du récepteur olfactif responsable de la reconnaissance du PAN, car les criquets possèdent plus de 140 gènes de récepteurs olfactifs. Des tests sur 49 récepteurs olfactifs différents, utilisant plus de 200 odeurs pertinentes, ont finalement révélé le récepteur olfactif OR70a.
En modifiant génétiquement les criquets pour que leur récepteur OR70a ne soit plus fonctionnel, les chercheurs ont constaté un taux de cannibalisme beaucoup plus élevé, car les criquets ne pouvaient plus percevoir le signal anti-cannibalisme.
Dans leur étude, les chercheurs suggèrent que :
Ce système est très probablement d’une importance majeure dans l’écologie des populations d’acridiens, et nos résultats pourraient donc fournir des opportunités dans leur gestion.
L’étude publiée dans Science : A chemical defense deters cannibalism in migratory locusts et présentée sur le site de l’Institut Max-Planck d’écologie chimique : Chemical signal protects migratory locusts from cannibalism.