Un étrange mammifère pondeur d’œufs réapparaît après 62 ans d’absence
Avec ses épines de hérisson, ses pieds de taupe et son museau de fourmilier, cet animal à l’allure bizarre est difficile à manquer. Mais c’est exactement ce à quoi il a excellé pendant plus d’un demi-siècle, échappant aux scientifiques au point que cette étrange espèce à l’aspect hybride fut présumée éteinte.
Image d’entête : les chercheurs ont été ravis d’apercevoir via un piège photographique cet échidné élusif, que l’on croyait disparu. (Université d’Oxford/ Expédition Cyclops)
Aujourd’hui, l’animal a été aperçu en train de se promener nonchalamment dans le champ de vision d’un piège photographique déclenché par le mouvement, l’un des 80 dispositifs de ce type déployés dans le cadre du projet de recherche Expedition Cyclops, dans les monts Cyclope, une région reculée et inhospitalière de la province indonésienne de Papouasie.
L’animal en question est en fait l’échidné à nez long d’Attenborough (Zaglossus attenboroughi), qui a été nommé d’après le célèbre présentateur britannique Sir David Attenborough. Il n’a été répertorié scientifiquement qu’une seule fois, en 1961, par le botaniste néerlandais Pieter van Royen.
Représentation de l’échidné à nez long d’Attenborough. (Université d’Oxford)
Selon James Kempton, biologiste de l’université d’Oxford qui a dirigé l’expédition :
En raison de son apparence hybride, elle partage son nom avec une créature de la mythologie grecque mi-humaine, mi-serpent. La raison pour laquelle il semble si différent des autres mammifères est qu’il fait partie des monotrèmes, un groupe de pondeurs d’œufs qui s’est séparé du reste de l’arbre de vie des mammifères il y a environ 200 millions d’années.
Tout comme ses cousins échidnés australiens, cette espèce est notoirement craintive et se promène principalement dans l’obscurité, généralement bien cachée dans la couverture végétale. Avec trois autres espèces d’échidnés et l’ornithorynque, il est l’un des cinq derniers monotrèmes de la planète. Il figure également sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN et n’a jamais été observé en dehors des monts Cyclopes.
(Université d’Oxford/ Expédition Cyclops)
Les précédentes expéditions menées en 2022 avaient donné de l’espoir aux scientifiques, après la découverte de « coups de nez » distinctifs dans le sol, signe révélateur d’un animal à long bec à la recherche d’insectes terrestres. Cependant, l’équipe de l’expédition Cyclope avait presque abandonné après quatre semaines sans observation, malgré le déploiement des 80 caméras sur une étendue qui, au cours de plusieurs ascensions, les a amenés à franchir plus de 11 000 mètres, soit une hauteur supérieure à celle du mont Everest.
Finalement, ils ont eu de la chance : le dernier jour, sur la dernière carte mémoire récupérée, ils avaient non seulement des images, mais aussi une vidéo de l’échidné trapu et hérissé. Bien qu’il soit difficile de se tromper, les chercheurs se sont assurés de l’identité de l’animal et l’ont fait confirmer par le professeur Kristofer Helgen de l’Australian Museum Research Institute.
L’équipe a travaillé en étroite collaboration avec les communautés locales. L’échidné revêt une importance culturelle pour l’une d’entre elles, le peuple de Yongsu Sapari, qui habite le versant nord des montagnes depuis 18 générations. On dit qu’en cas de conflit, un camp est envoyé dans les montagnes à la recherche d’un échidné, tandis que l’autre part dans l’océan à la recherche d’un marlin. Ces deux animaux étant très difficiles à trouver, il faut souvent des décennies pour y parvenir. Cependant, une fois trouvés, les animaux symbolisaient la fin du combat.
Selon Kempton :
La découverte est le résultat d’un travail acharné et de plus de 3 ans et demi de planification. « L’une des principales raisons de notre réussite est que, avec l’aide de l’ONG indonésienne YAPPENDA, nous avons passé des années à établir une relation avec la communauté de Yongsu Sapari, un village situé sur la côte nord des monts Cyclopes. La confiance entre nous fut le fondement de notre travail, car ils ont partagé avec nous les connaissances nécessaires pour parcourir ces montagnes difficiles, et nous ont même permis de faire des recherches sur des terres qui n’avaient jamais été foulées par l’homme auparavant.
L’échidné est également une espèce EDGE, c’est-à-dire une espèce unique en son genre et proche de l’extinction. Ce vagabond nocturne a également évolué indépendamment des autres mammifères pendant environ 200 millions d’années.
L’équipe a fait de nombreuses autres découvertes au cours de ce voyage difficile : plusieurs dizaines de nouvelles espèces d’insectes, la redécouverte du méliphagidé Ptiloprora mayri pour la première fois depuis 2008, et un nouveau genre de crevettes vivant au sol et dans les arbres.
Selon Leonidas-Romanos Davranoglou, du musée d’histoire naturelle de l’université d’Oxford et entomologiste principal de l’expédition :
Nous avons été très surpris de découvrir cette crevette au cœur de la forêt, car elle s’éloigne considérablement de l’habitat marin typique de ces animaux. Nous pensons que le niveau élevé des précipitations dans les monts Cyclopes signifie que l’humidité est suffisante pour que ces créatures vivent entièrement sur terre.
L’expédition ne fut cependant pas une promenade de santé. La région est connue pour être extrêmement difficile à parcourir à pied, les chercheurs se sont retrouvés à tailler de nouveaux passages dans la jungle dense, là où aucun être humain n’avait jamais mis les pieds auparavant. C’est l’une des raisons pour lesquelles les monts Cyclopes sont un trésor de nouvelles espèces, par rapport à la vie au-delà de la région où les perturbations humaines ont été si dévastatrices pour le monde naturel. Au cours du travail de terrain, Davranoglou s’est cassé le bras à deux endroits, quelqu’un a contracté la malaria et un autre membre de l’équipe a eu encore plus de mal, avec une sangsue attachée à son œil pendant près de deux jours avant qu’elle ne puisse être enlevée à l’hôpital.
Selon Kempton :
Certains décrivent le Cyclope comme un ‘enfer vert’, mais je pense que le paysage est magique, à la fois enchanteur et dangereux, comme sorti d’un livre de Tolkien. Dans cet environnement, la camaraderie entre les membres de l’expédition était fantastique, chacun contribuant à maintenir le moral des troupes. Le soir, nous échangions des histoires autour du feu, tout en étant entourés par les cris et les piaillements des grenouilles.
L’équipe a également recueilli 75 kg d’échantillons de roches et s’attend à ce que de nombreuses autres espèces animales soient découvertes lors de futures recherches. Les scientifiques espèrent donner à leurs futures découvertes le nom de membres de la communauté locale.
Présentée sur le site de l’Expedition Cyclops : The rediscovery of an iconic species et The rediscovery of Attenborough’s long-beaked echidna et sur le site de l’Université d’Oxford : Found at last: bizarre, egg-laying mammal finally rediscovered after 60 years.