Sur cette substance vivante qui protège la Grande Muraille de Chine des agressions naturelles
La Grande Muraille de Chine s’étend sur plus de 8 800 km et elle a traversé plus de 5 siècles. On ne peut pas la voir de l’espace (c’est un mythe), mais elle reste l’une des structures les plus impressionnantes sur Terre. Pourtant, même ce patrimoine monumental est fortement menacé par des processus d’érosion naturelle tels que le vent, les précipitations et la salinisation.
Image d’entête : la Grande Muraille de Chine à Jinshanling. (Severin Stalder/ Wikimedia)
Pour ne rien arranger, seule une fraction de sa structure d’origine est bien préservée. Cependant, des chercheurs ont découvert un aspect essentiel, mais négligé, de la conservation de la Grande Muraille : les biocroûtes. Ces communautés de cyanobactéries, de mousses, de lichens et d’autres micro-organismes forment une barrière naturelle couvrant plus de 67 % de la surface de la muraille, influençant considérablement sa stabilité mécanique et sa résistance à l’érosion.
Une biocroûte (biocrusts en anglais), ou croûte biologique du sol, est donc un amalgame complexe d’organismes vivants qui forment une fine couche cohésive à la surface du sol. Ces croûtes sont particulièrement répandues dans les environnements arides et semi-arides, où elles jouent un rôle écologique crucial dans la lutte contre l’érosion. La composition et la prévalence des biocroûtes varient en fonction des conditions climatiques. Dans les climats arides, les biocroûtes cyanobactériennes dominent, tandis que les biocroûtes de mousses prospèrent dans les climats semi-arides. Leur présence et leur densité sont nettement plus élevées sur les structures des forteresses que sur les murs.
Gros plan sur les biocroûtes de la Grande Muraille. (Bo Xiao)
Les chercheurs savent depuis longtemps que sur les sols, les biocroûtes peuvent agir comme une « colle » qui empêche l’érosion. En fait, dans certaines régions, les biocroûtes sont considérées comme une protection contre les tempêtes et l’érosion du sol. Mais elles peuvent aussi se former sur les bâtiments, et on ne sait pas exactement quel est leur effet dans ce cas.
Dans cette nouvelle étude (lien plus bas), des chercheurs dirigés par Yusong Cao, de l’Académie chinoise des sciences, ont analysé de vastes pans de la Grande Muraille et ils ont constaté que les biocroûtes étaient plus résistantes que le matériau en terre battue sur lequel elles poussaient. Les scientifiques ont constaté que les biocroûtes contribuaient à protéger la structure de trois manières principales :
- Réduction de la porosité et de la capacité de rétention d’eau : les biocroûtes réduisent la porosité et la capacité de rétention d’eau de la terre sous-jacente, ce qui diminue le risque d’érosion et de dommages structurels dus à l’humidité.
- Stabilité mécanique accrue : les biocroûtes présentent une résistance à la compression, une résistance à la pénétration et une résistance au cisaillement nettement supérieures à celles de la terre battue nue, ce qui leur confère une plus grande résistance aux forces érosives.
- Diminution de l’érodabilité : les biocroûtes augmentent la stabilité des agrégats, améliorent la teneur en matières organiques et réduisent la teneur en sels solubles, diminuant ainsi l’érodabilité globale de la structure de la Grande Muraille.
La Grande Muraille s’étend sur une telle distance que les chercheurs pourraient étudier l’effet protecteur de la biocroûte sous différents climats.
Ils ont appris que les fonctions protectrices des biocroûtes ne sont pas uniformes sur l’ensemble de la Grande Muraille. Les variations de climat, le type de structure (forteresses ou murs) et les caractéristiques régionales influencent la composition et leur efficacité. En général, les biocroûtes de mousse des climats semi-arides présentent des qualités protectrices plus importantes que leurs homologues des régions arides.
A partir de l’étude : Diagramme montrant les fonctions protectrices globales des biocrusts contre l’érosion dans la Grande Muraille ainsi que les voies d’influence. Par rapport à la terre battue nue, les biocroûtes exercent des effets protecteurs principalement en réduisant la force érosive, en renforçant la stabilité mécanique du sol et en réduisant l’érodabilité du sol. Le niveau de développement et la fonction protectrice des biocroûtes sur les forteresses ont dépassé ceux des murs. EPS, substances polymériques extracellulaires. C désigne d’autres matières organiques telles que les exsudats, les sécrétions, les mucilages, et les résidus de l’érosion. (Y. Cao et col./ Science Advances)
L’effet est si prononcé que les chercheurs suggèrent qu’elles pourraient constituer une approche naturelle, rentable et durable de la conservation du patrimoine. Contrairement aux méthodes conventionnelles, les biocroûtes assurent de multiples fonctions de protection, notamment la stabilisation, la consolidation et la fonction de couches sacrificielles et de toits de drainage. Elles sont également très bon marché.
Mais il y a un hic : l’esthétique. Si les biocroûtes offrent des avantages considérables en termes de protection, leur présence pourrait avoir un impact sur la valeur esthétique des sites patrimoniaux. Cet aspect justifie des recherches plus approfondies pour déterminer le niveau acceptable de couverture par les biocrustes qui concilie les besoins de conservation et le maintien de l’aspect original du patrimoine.
Les résultats de cette étude soulignent ainsi de l’importance de prendre en compte les processus naturels dans les efforts de conservation.
En faisant des biocroûtes des alliés dans la lutte contre l’érosion, il est possible de protéger non seulement la Grande Muraille, mais aussi d’autres sites patrimoniaux similaires dans le monde entier, en veillant à ce qu’ils perdurent pour que les générations futures puissent s’en émerveiller.
L’étude publiée dans Science Advances : Biocrusts protect the Great Wall of China from erosion et présentée sur le site de l’Académie chinoise des sciences : Biological Community Protects Great Wall’s Earthen Sections from Erosion.