“Crevette zombie” ou comment un parasite détourne les gènes de son hôte pour le soumettre à sa volonté
Le règne animal abrite toutes sortes d’histoires : aventures, romances, tragédies et même des histoires d’horreur. Des scientifiques de l’université Brown (États-Unis) ont découvert une nouvelle et effrayante histoire de zombies impliquant des vers qui se propagent en piratant le génome de crevettes pour prendre le contrôle de leur esprit.
Si vous suivez le Guru depuis quelques années, vous saurez que ce dernier a un gros faible pour les parasites qui manipulent leur hôte ou, si vous avez regardé la série The Last of Us ou joué aux jeux dont elle s’inspire, vous connaissez certainement le cordyceps. Ce champignon, mainte fois présenté par votre serviteur, se reproduit en infectant des fourmis et en contrôlant leur système nerveux comme une marionnette, les forçant à grimper en hauteur et à s’agripper à une feuille, où elles peuvent produire des spores pour infecter d’autres fourmis. On a également constaté que des guêpes parasites « zombifiaient » des araignées, les obligeant à construire un type spécial de cocon pour leurs larves, qui se mettent ensuite à manger l’araignée en question.
Et puis il y a le cycle de vie complexe d’un parasite appelé Levinseniella byrdi, qui ne peut se reproduire que dans les intestins de certaines espèces d’oiseaux des marais. Mais ce petit ver aime voyager dans sa jeunesse avant de s’installer et de fonder une famille. Ses œufs passent d’abord dans l’environnement par les fientes de l’oiseau, où ils sont mangés par les escargots marins qui broutent. Les larves se développent, puis sortent de l’escargot et nagent dans la colonne d’eau jusqu’à ce qu’elles pénètrent dans les branchies d’un petit crustacé inoffensif, un amphipode. Et c’est là que les choses deviennent bizarres.
Les amphipodes sont généralement des créatures assez timides, qui se cachent sous la végétation grâce à leur couleur gris terne ou brune. Mais une fois infectés par le L. byrdi, ils changent de couleur et deviennent orange vif, ainsi que plus aventureux, préférant se tenir à l’air libre. Ensemble, ces deux nouvelles caractéristiques les rendent plus facilement repérables par les oiseaux prédateurs, exactement ceux dont le ver a besoin pour se débarrasser. Et le cycle se poursuit.
Deux amphipodes, l’image du haut montre leur couleur naturelle, tandis que l’image du bas montre le changement de couleur qu’ils subissent après avoir été infectés par le ver parasite. (David Johnson)
A partir de l’étude : le cycle de vie du trématode Levinseniella byrdi à travers ses trois hôtes : les œufs sont pondus par des hôtes aviaires, ingérés par le premier hôte intermédiaire, l’escargot Hydrobiid, qui transmet les stades larvaires au deuxième hôte intermédiaire, l’amphipode Orchestia grillus, qui est ensuite la proie des hôtes aviaires. (D. M. Rand et col./ Molecular Ecology)
Dans cette nouvelle étude (lien plus bas), les chercheurs de l’université Brown ont examiné comment le parasite modifie la biologie de l’amphipode. Ils ont utilisé le séquençage de l’ARN pour identifier les gènes du génome de l’amphipode qui correspondent aux principaux changements et ils ont découvert que les vers activent des gènes qui impliquent la pigmentation, interfèrent avec leur capacité à détecter des stimuli externes et suppriment de nombreux gènes impliqués dans les réponses immunitaires qui, autrement, combattraient le parasite.
Bien qu’il s’agisse d’une histoire fascinante en soi, l’équipe affirme que le fait de mieux comprendre ces systèmes pourrait éventuellement nous aider à lutter contre les agents pathogènes qui affectent les humains.
Selon David Rand, l’un des auteurs de l’étude :
La caractérisation des mécanismes moléculaires de manipulation est importante pour faire progresser la compréhension de la coévolution hôte-parasite. L’apprentissage des mécanismes moléculaires de ces types d’interactions hôte-parasite peut avoir d’importantes implications sur la manière de gérer les pathogènes en général, et chez l’homme.
L’étude publiée dans la revue Molecular Ecology : Parasite manipulation of host phenotypes inferred from transcriptional analyses in a trematode-amphipod system et présentée sur le site de l’Université Brown : Scientists show how parasites turn marsh-dwelling brown shrimp into neon zombies.