Plus de bras pour les câlins : sous ecstasy les pieuvres deviennent tout aussi tactiles et sociales que l’humain
D’intrépides chercheurs ont récemment dévoilé les résultats d’une série d’expériences convaincantes qui ont démontré que l’exposition à l’ecstasy (MDMA) peut déclencher un comportement social chez une espèce particulièrement asociale de pieuvre.
La pieuvre à deux points de Californie, aussi connue sous le nom d’Octopus bimaculatus, est un invertébré incroyablement intelligent. Il y a plus de 500 millions d’années, les lignées de l’homme et de la pieuvre divergeaient, ce qui a entraîné des différences très particulières dans l’organisation du cerveau.
Le séquençage récent du génome de la pieuvre a révélé une similitude fascinante avec les humains dans certaines régions qui signalent la liaison du neurotransmetteur sérotonine. Cette observation s’est avérée intéressante pour les chercheurs Gui Dölen et Eric Edsinger, car la sérotonine est un important régulateur de l’humeur, avec le fait d’être impliqué dans la régulation du comportement social.
Les pieuvres, par contre, sont tristement solitaires, n’interagissant socialement que durant les périodes d’accouplement. Cela a amené le duo de chercheurs à se demander si la MDMA, connue pour déclencher une augmentation de sérotonine, aurait une incidence sur le comportement social des pieuvres.
Octopus bimaculatus. (Tom Kleindinst/ Marine Biological Laboratory)
La première étape de la recherche consistait à trouver un moyen de quantifier expérimentalement le comportement social d’une pieuvre. Pour ce faire, les chercheurs ont créé un aquarium à trois chambres. D’un côté, un nouvel objet était placé dans une cage, et de l’autre, une pieuvre femelle ou mâle en cage. L’idée était que lorsqu’une pieuvre était placée dans la chambre centrale, elle pouvait se déplacer librement entre l’objet ou l’autre pieuvre, ce qui permettait aux scientifiques de quantifier son comportement social. Cette approche est inspirée d’un dispositif couramment utilisé pour étudier le comportement social des rongeurs.
A partir de l’étude, le dispositif expérimental. (Edsinger & Dolen/ Current Biology)
À ce stade, l’expérience donna déjà des résultats inédits, révélant que les pieuvres mâles et femelles évitaient de passer du temps dans la chambre sociale avec une autre pieuvre seulement lorsque cette pieuvre en cage était un mâle. Cette fascinante révélation suggère que l’espèce présente une préférence significative dans les interactions sociales avec les femelles par rapport aux mâles.
Pour leur administrer la drogue, les poulpes ont été immergés pendant 10 minutes dans une solution de MDMA, ce qui a permis aux animaux de l’absorber par leurs branchies. Après un rinçage de 20 minutes avec du sérum physiologique, les pieuvres ont été remis en place dans l’expérience à trois chambres.
Celles exposées à la MDMA présentaient des comportements significativement différents, avec une augmentation notable du temps passé à l’intérieur de la chambre avec les autres pieuvres. Le plus frappant est l’augmentation des contacts sociaux lorsqu’une pieuvre mâle est placée dans la chambre sociale. Auparavant, la pieuvre testée évitait la chambre sociale, surtout si un mâle se trouvait à l’intérieur, mais après la MDMA, les animaux passaient beaucoup plus de temps en interaction les uns avec les autres.
Selon Dölen :
Ce n’est pas seulement quantitativement plus de temps, mais c’est aussi qualitatif. Ils avaient tendance à serrer la cage dans leurs bras et à mettre leurs pièces buccales sur la cage. C’est très similaire à la façon dont les humains réagissent à la MDMA, ils se touchent fréquemment.
Les implications de cette étude, petite mais passionnante, suggèrent que, malgré l’évolution des cerveaux et de comportements incroyablement uniques chez les pieuvres, celles-ci peuvent encore être fondamentalement régulées socialement par les mêmes neurotransmetteurs que les humains.
Toujours selon Dölen :
Ce que nos études suggèrent, c’est que certaines substances chimiques du cerveau, ou neurotransmetteurs, qui envoient des signaux entre les neurones nécessaires à ces comportements sociaux sont conservés par l’évolution.
C’est une hypothèse incroyablement intrigante, que la signalisation sérotoninergique soit un ancien modulateur social présent dans le cerveau des animaux qui sont très différents de l’humain. Mais tout le monde n’est pas convaincu par cette expérience. Interviewé dans The Atlantic, Jennifer Mather, de l’université de Lethbridge (Canada), suggère que les observations mentionnées dans cette étude n’établissent pas de lien explicite entre la MDMA et une sociabilité accrue chez les animaux. M. Mather souligne plutôt que l’intervention chimique pourrait simplement perturber la capacité générale de l’animal à sentir les autres, ce qui entraîne des tentatives plus tactiles pour évaluer son environnement.
Et pour être honnête, il est tentant d’interpréter ces observations dans une perspective anthropomorphique. Comme le comportement social des pieuvres est encore très peu étudié, il est tentant de conclure à des similitudes de comportement avec les humains sur la MDMA.
Dölen admet volontiers qu’il ne s’agit pas d’une observation scientifique, mais elle soulève quelques questions troublantes. Malgré des centaines de millions d’années d’évolution indépendante, il est passionnant de penser que la structure d’un cerveau intelligent repose toujours sur une activité similaire de neurotransmetteurs pour moduler l’activité sociale.
L’étude publiée dans Current Biology : A Conserved Role for Serotonergic Neurotransmission in Mediating Social Behavior in Octopus et présentée sur le site de l’Ecole de médecine John Hopkins : Octopuses Given Mood Drug ‘Ecstasy’ Reveal Genetic Link to Evolution of Social Behaviors in Humans.