Un trou noir dévore un donut de poussière d’étoile tout en déformant l’espace-temps
À quelque 7 800 années-lumière de là, dans la constellation du Cygne, se trouve un trou noir très particulier. Il s’appelle V404 Cygni, et en 2015, les télescopes du monde entier se sont émerveillés lorsqu’il s’est réveillé d’une période de dormance pour dévorer la matière d’une étoile durant la semaine qui a suivi. Des astronomes ont repéré les jets de particules qui vacillent frénétiquement tout en jaillissant du trou noir, et ils pensent que ce mouvement inhabituellement rapide pourrait se produire parce que la forte gravité du trou noir déforme l’espace autour de celui-ci.
Ce trou noir est relativement petit (…) pour un trou noir, de seulement 9 fois la masse du Soleil de la Terre (9 masses solaires). Il fait partie d’un système binaire dans lequel lui et une étoile semblable au soleil orbitent l’un autour de l’autre. Le trou noir siphonne constamment la matière de sa compagne stellaire, formant dans le processus un disque d’accrétion autour de ce trou noir.
Représentation artistique de V404 Cygni. Le système stellaire binaire se compose d’une étoile normale en orbite autour du trou noir. La matière de l’étoile tombe vers le trou noir et s’enroule vers l’intérieur dans un disque d’accrétion, de puissants jets étant lancés depuis les régions intérieures près du trou noir. (ICRAR)
Certaines des particules qui tombent dans le trou noir s’échappent par des jets relativistes, de longs faisceaux de plasma énergétique qui jaillissent de l’axe de rotation du trou noir à une vitesse équivalant à plus de la moitié de celle de la lumière. Les astronomes ont déjà vu des jets de trous noirs, mais n’ont jamais vu des jets qui vacillent aussi rapidement que ceux de V404 Cygni, qui ont été observés oscillants sur des périodes de quelques minutes seulement.
Selon James Miller-Jones, chercheur au Centre international de recherche en radioastronomie (ICRAR/ Australie) qui a dirigé la nouvelle étude :
Nous n’avons jamais vu cet effet se produire sur des échelles de temps aussi courtes.
Miller-Jones et ses collègues ont observé V404 Cygni à l’aide du Very Long Baseline Array (VLBA), un réseau de 10 radiotélescopes répartis dans le monde entier qui appartiennent à la National Science Foundation (NSF/ l’équivalent américain du CNRS en France) et sont exploités par elle. Le trou noir fait l’objet d’observations depuis 1938, date à laquelle il a libéré un éclat d’énergie. Sa plus récente “explosion”, en 2015, a suscité une nouvelle vague d’intérêt pour le trou noir, et c’est alors que Miller-Jones et son équipe ont commencé les observations pour cette étude.
Lorsque les chercheurs ont observé pour la première fois le trou noir et reconstitué les images à partir des données du VLBA, les jets » changeaient si vite que dans une image de 4 heures, nous ne voyions qu’un flou « , selon Alex Tetarenko, un chercheur de l’East Asian Observatory à Hawaii qui a contribué à cette étude.
Les astronomes utilisent généralement de longues expositions pour observer les trous noirs, mais cette fois ils ont dû modifier leur stratégie pour avoir une vue claire des jets de V404 Cygni. Ainsi, ils ont capturé plus de 100 images avec des expositions de 70 secondes et les ont reconstituées dans une animation.
Selon Greg Sivakoff, astronome à l’université de l’Alberta (Canada) et coauteur de l’étude :
Nous avons été envoûtés par ce que nous avons vu dans ce système, c’était complètement inattendu. La découverte de cette première astronomique a permis d’approfondir notre compréhension du fonctionnement des trous noirs et de la formation des galaxies. Ça nous en dit un peu plus sur cette grande question : « Comment sommes-nous arrivés ici ?”
Les astronomes pensent que l’oscillation rapide du trou noir peut s’expliquer par la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, qui stipule que les objets extrêmement massifs plient/ courbent l’espace et le temps.
Selon les responsables de l’Observatoire national de radioastronomie (NRAO), qui gère le VLBA :
Lorsqu’un objet aussi massif tourne, son influence gravitationnelle entraîne l’espace et le temps avec lui, un effet appelé Effet Lense-Thirring (frame-dragging).
Lorsque les particules sont aspirées vers le trou noir, le disque d’accrétion devient plus dense et plus chaud près du centre. A cet endroit se trouve un anneau dense en forme de donut qui est « gonflé » par la pression des radiations. Alors que le disque d’accrétion mesure environ 10 millions de kilomètres de diamètre, le donut ne fait que quelques milliers de kilomètres de largeur. C’est là que l’espace est déformé par l’immense force gravitationnelle.
L’effet Lense-Thirring semble se produire parce que l’axe de rotation du trou noir n’est pas aligné avec le plan de son orbite et avec sa compagne binaire. Ce désalignement « fait en sorte que l’effet Lense-Thirring déforme la partie interne du disque, puis tire la partie déformée autour de lui ».
Selon les chercheurs :
Comme les jets proviennent soit du disque interne, soit du trou noir, cela change l’orientation du jet, produisant les oscillations observées avec le VLBA.
Vous pouvez l’imaginer comme le tremblement d’une toupie qui ralentit. Dans ce cas seulement, l’oscillation est causée par la théorie de la relativité générale d’Einstein.
Bien que les chercheurs puissent avoir une explication pour les oscillations des jets de V404 Cygni, ils n’ont pas encore précisément compris d’où ils viennent. Les origines des jets relativistes des trous noirs restent un peu mystérieuses, pas seulement pour V404 Cygni, mais pour tous les trous noirs. Les scientifiques pensent que les jets proviennent soit de la partie interne du disque d’accrétion d’un trou noir, soit du trou noir lui-même.
Indépendamment de l’origine des jets, cette nouvelle recherche suggère que l’oscillation du disque d’accrétion interne » pourrait jouer un rôle dans le lancement direct ou la réorientation des jets “ selon les chercheurs dans leur étude.
L’étude publiée cette semaine dans Nature : A rapidly changing jet orientation in the stellar-mass black-hole system V404 Cygni et présentée sur le site du National Radio Astronomy Observatory : Black Hole’s Tug on Space Pulls Fast-Moving Jets in Rapid Wobble et sur le site de la NASA :NASA Missions Monitor a Waking Black Hole.