Le changement climatique entraine l’affaissement du plancher océanique, la modification chimique de ses eaux et la suffocation de nos océans
S‘il y a une chose que nous avons apprise au sujet de cette expérience planétaire globale appelée changement climatique, c’est qu’il est suivi de conséquences inattendues. C’est ce que révèlent encore 3 études indépendantes, publiées en ce début d’année, sur l’action du changement climatique sur nos océans et que votre Guru se permettra de compiler ici.
Le plancher océanique s’affaisse…
Toute l’eau découlant des nappes de glace fondantes alourdis les océans, au point que les fonds marins s’enfoncent/ s’affaissent littéralement. Et cela pourrait fausser nos mesures de l’élévation globale du niveau de la mer.
Tout comme se tenir debout sur un trampoline, cette masse supplémentaire sur notre terre, l’écrase. Les scientifiques le savent depuis longtemps, mais une équipe de chercheurs a voulu évaluer précisément l’influence exercée sur le fond marin par toute cette eau découlant de la fonte des calottes glaciaires et des changements anthropiques du stockage de l’eau.
Les altimètres des satellites, qui mesurent la hauteur de la surface de l’océan par rapport au centre de la Terre, ne remarquent pas ce qui se passe au fond, sous-estimant ainsi l’élévation globale du niveau de la mer. Pour les habitants des zones côtières, ces écarts seraient imperceptibles (du moins pour l’instant), mais ils peuvent entraîner de véritables écarts de mesure pour les scientifiques.
Pour les déterminer, les chercheurs ont dû faire beaucoup de calcul. Ils ont transformé les estimations récentes sur la masse des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, les données sur leur perte de masse et les changements dans le stockage de l’eau à la surface (barrages, irrigation, etc.), en équations permettant d’estimer les mesures relatives du niveau de la mer (marégraphe) et les estimations absolues (à la satellite) pour différentes parties du globe.
Ils ont constaté que l’augmentation de la charge océanique totale due à ces changements, en grande partie causés par l’humain, a entrainé l’affaissement du plancher océanique en moyenne d’environ 0,1 mm/an entre 1993 et 2014, soit 2,1 mm sur toute la période. Ça n’a l’air de rien, surtout si l’on considère que le niveau de la mer a augmenté d’environ 80 mm depuis le début des années 90, mais il faut avoir en tête que nous parlons ici de tout l’océan.
De plus, quand vous ajoutez tous ces petits changements, les auteurs constatent que nos satellites sous-estiment la quantité d’eau ajoutée, d’environ 8%. Dans l’ensemble, cela a pour effet de fausser les estimations du niveau de la mer par satellite de seulement 4%, parce qu’environ la moitié de l’élévation provient de l’eau ajoutée et l’autre moitié de la hausse des températures qui la dilate.
Selon Frederikse et ses collègues précisant dans leur étude que cela risque de devenir un problème plus évident à mesure que le changement climatique progresse :
L’effet est systématique et relativement facile à expliquer. Dans un climat de réchauffement futur, l’élévation du niveau de la mer induite par les calottes glaciaires augmentera et, par conséquent, l’ampleur du biais dû à la déformation élastique du fond marin augmentera.
A l’inverse, dans les régions où la majeure partie de la glace fond, le Groenland et l’océan Arctique, le fond marin est en train de s’élever légèrement avec la disparition de la masse de glace. En fait, comme la majeure partie de celle-ci disparaît dans le Nord, la quasi-totalité de cet hémisphère subit un léger effet d’élévation des fonds marins, tandis que l’affaissement se concentre dans le sud, en particulier dans l’océan Austral.
A partir de l’étude : changements dans a) le fond marin b) le niveau relatif de la mer et c) le niveau de la mer absolue, tel que mesuré par les satellites lors de l’examen de l’effet de la masse océanique supplémentaire sur la hauteur du plancher océanique. Le changement du niveau de la mer par rapport au fond marin est négatif pour l’Arctique, car les fonds marins s’élèvent légèrement en raison de la perte de masse. (Frederikse et Col./ Geophysical Research Letters)
Frederikse espère que les scientifiques commenceront à prendre en compte l’effet pour améliorer leurs estimations et il rajoute :
La Terre elle-même n’est pas une sphère rigide, c’est une balle déformable. Avec le changement climatique, nous ne changeons pas seulement la température.
L’étude publiée dans la revue Geophysical Research Letters : Ocean Bottom Deformation Due To Present-Day Mass Redistribution and Its Impact on Sea Level Observations.
La chimie de nos océans se modifie
D’autres chercheurs, travaillant près du milieu de l’océan Arctique, ont constaté que les concentrations de radium 228 ont augmenté rapidement au cours de la dernière décennie, la disparition de la glace entraînant l’accumulation de sédiments dans l’eau.
Selon les chercheurs, menée par une équipe de l’Institut océanographique de Woods Hole (Massachusetts/ Etats-Unis), les conséquences du réchauffement de la planète pourraient avoir d’importantes répercutions sur la vie marine et la chaîne alimentaire de l’arctique.
Pour tenter de le savoir, l’équipe a remarqué un important courant de glace et d’eau se déplaçant vers le nord depuis la Russie, le long du courant de la dérive transpolaire, pour se retrouver à l’endroit où les niveaux accrus de radium ont été observés.
Cela suggère que les sédiments du plateau arctique de Sibérie orientale ont voyagé de la Russie jusqu’au centre de l’océan Arctique.
Les scientifiques pensent que la réduction de la couverture de glace de mer le long de la côte russe a entrainé une augmentation de l’activité des vagues, car les zones en augmentation d’eau libre/ haute mer sont fouettées par les vents. À son tour, cela entraînerait une augmentation des sédiments du fond de la mer, comprenant du radium et d’autres composés.
(Institut océanographique de Woods Hole)
Des nutriments, du carbone et d’autres produits chimiques seraient probablement libérés par le même mécanisme, ce qui fournirait alors de la nourriture en plus au plancton (en bas de la chaîne alimentaire). Pour les scientifiques, l’ensemble de l’écosystème pourrait être modifié.
D’autres facteurs peuvent rentrer en jeu : la façon dont l’activité accrue des vagues pourrait transporter davantage de sédiments dans l’océan par le biais de l’érosion côtière et la possibilité d’une augmentation des températures par la disparition du pergélisol et par l’augmentation des eaux souterraines de ruissellement. Le résultat final est un tout nouveau mélange de produits chimiques dans la mer.
Il reste encore à préciser tout cela, notamment pour d’autre partie du globe et jusqu’à ce que nous obtenions un meilleur ensemble de données, nous ne saurons pas avec certitude comment cette partie du monde évolue ou ce qui pourrait être fait pour faire face aux conséquences.
L’étude publiée dans Science Advances : Increased fluxes of shelf-derived materials to the central Arctic Ocean et présentée sur le site de la Woods Hole Oceanographic Institution : Scientists Find Surprising Evidence of Rapid Changes in the Arctic.
Les océans suffoquent
Une autre étude… publiée également en ce début d’année, rapporte que partout dans le monde, la teneur en oxygène de nos océans diminue rapidement.
Image d’entête, à partir de l’étude : les points rouges marquent les endroits sur la côte où l’oxygène a chuté à 2 milligrammes par litre ou moins, et les zones bleues indiquent les zones avec les mêmes niveaux de faible teneur en oxygène en haute mer (open ocean). (Groupe de travail GO2NE/ World Ocean Atlas 2013/ R. J. Diaz)
Cette recherche est le fruit de la collaboration de près de deux douzaines de scientifiques, chacun apportant son expertise dans un domaine de recherche spécifique. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a réuni l’équipe scientifique sous la désignation de Global Ocean Oxygen Network (GO2NE) dans le but d’attirer l’attention sur un problème à la gravité croissante et méritant une plus large reconnaissance.
Au cœur de cette pénurie d’oxygène, il y a un double effet lié à l’élévation de la température des océans, eux-mêmes liés aux émissions de gaz à effet de serre de l’humain. D’une part, la solubilité de l’oxygène est inversement corrélée à la température de l’eau, donc lorsque celle-ci devient plus chaude, l’oxygène de l’air ne se dissout pas aussi facilement, ce qui signifie qu’il y a moins de formes de vie aquatique. De plus, la température plus élevée de l’eau augmente les taux métaboliques des créatures marines, ainsi leur corps consomme de plus en plus d’oxygène alors qu’il y en a de moins en moins disponible.
Première auteure de l’étude, Denise Breitburg, écologiste au Smithsonian Environmental Research Center (Maryland, Etats-Unis) et ses collègues ont observé toutes sortes d’effets nocifs dans les environnements marins anoxiques (anormalement pauvres en oxygène). Dans de nombreux cas, les algues et d’autres organismes simples, qui n’ont pas besoin de beaucoup d’oxygène pour survivre, prolifèrent aux dépens des organismes complexes. Et la production de gamètes parmi ces organismes complexes, nécessaires à leur reproduction, peut également être affectée par les faibles niveaux d’oxygène. Ainsi, une fois qu’une population commence à décliner, sa disparition peut rapidement être précipitée.
De plus, précisent les chercheurs, l’effet de ces environnements océaniques anoxiques pourrait exacerber le dérèglement climatique :
Ce sont des sites de production de composés, comme l’oxyde nitreux, qui sont de véritables gaz à effet de serre. Il y a donc un potentiel de rétroaction qui pourrait aggraver le changement climatique.
Que faire ? Breitburg soutient que, dans le cas d’une problématique aussi vaste que celle-ci, la consommation de combustibles fossiles qui réchauffe l’atmosphère et les pratiques industrielles qui entraine la production d’eaux usées sont les principaux coupables.
Un changement significatif ne peut se développer que par une action au niveau institutionnelle… et avec la volonté d’agir.
L’étude publiée dans Science : Declining oxygen in the global ocean and coastal waters et présentée sur le site de l’UNESCO : Deoxygenation – Open Ocean and Coastal Waters. Tout cela a donné naissance à un site dédié au sujet : ocean-oxygen.org.