En Australie, des canards lancent des insultes ou imitent le bruit de portes qui se ferment
Lorsque le biologiste néerlandais Carel ten Cate a entendu la rumeur d’un canard parlant en Australie, il l’a balayée d’un revers de main en la considérant comme une anecdote amusante, comme tout être humain sain d’esprit. Mais sa curiosité a pris le dessus et il a retrouvé un scientifique australien très respecté qui fut le premier à remarquer ce phénomène il y a plus de 30 ans. Après avoir écouté des images vérifiées montrant un canard musqué adulte vocalisant les sons d’une porte qui claque ou grince, d’un poney qui s’ébroue, d’un homme qui tousse, et même une injure anglaise familière « You bloody fool ! » (Espèce d’idiot), le biologiste néerlandais a été tout simplement stupéfait.
Image d’entête : un Érismature à barbillons mâles en Tasmanie, Australie. (JJ Harrison)
La rencontre de Carel ten Cate avec ce canard l’a conduit dans un terrier où il a trouvé d’autres preuves que les Érismatures à barbillons (Biziura lobata) peuvent imiter les sons de la nature, ainsi que ceux émis par les humains.
Cette extraordinaire capacité, qui a été documentée dans une nouvelle étude (lien plus bas), permet officiellement à l’Érismature de rejoindre le club exclusif des animaux capables d’acquérir la vocalisation par apprentissage, comprenant les perroquets, les colibris et certains oiseaux chanteurs, ainsi que certaines baleines, phoques, dauphins et chauves-souris du côté des mammifères.
Dans son étude Carel ten Cate , qui est professeur de comportement animal à l’université de Leyde (Pays-Bas), écrit :
Ces sons ont déjà été décrits auparavant, mais ils n’ont jamais été analysés en détail et sont passés jusqu’à présent inaperçus des chercheurs en apprentissage vocal.
Le coauteur de l’étude est le scientifique australien Peter J. Fullager, qui a été le premier à documenter l’imitation de sons par un canard Érismature il y a plus de 30 ans.
A partir de l’étude : Imitation d’une porte métallique suivie d’un marmonnement ressemblant à une voix provenant des imitations vocales et de l’apprentissage par les canards Érismatures à barbillons australiens (Biziura lobata). (Carel ten Cate et Peter J. Fullagar)
Enregistrement de l’ouverture et de la fermeture d’une porte métallique de volière à partir d’imitations vocales de canards Érismatures à barbillons australiens (Biziura lobata). (Carel ten Cate et Peter J. Fullagar)
Imitation vocal par les canards Érismatures à barbillons australiens (Biziura lobata) de la phrase « you bloody fool… », un juron lancé par la personne qui gardait les canards. (Carel ten Cate et Peter J. Fullagar)
Presque tous les mammifères produisent des sons vocaux, depuis les chiens qui aboient et hurlent jusqu’aux bovins qui mugissent et meuglent. Les humains sont très différents en ce sens qu’ils peuvent enchaîner des sons ayant une signification particulière, que nous appelons des mots, ce qui nous permet de communiquer entre nous grâce au langage. Mais en même temps, alors que la plupart des mammifères naissent avec des capacités de vocalisation innées, ce n’est pas le cas des humains.
Nous devons tous apprendre à parler et les processus cérébraux qui favorisent ce type d’apprentissage sont encore mal compris. C’est pourquoi ce genre d’études, qui portent sur la vocalisation acquise chez d’autres espèces, est important pour comprendre ces processus.
L’apprentissage vocal consiste à imiter des sons ou à produire des vocalisations totalement nouvelles, selon l’espèce concernée. La rétroaction auditive au cours du développement semble être au cœur de cette capacité.
Selon Michael Yartsev, professeur adjoint de bio-ingénierie à l’université de Californie à Berkeley :
La plupart des espèces ont une capacité plus innée à apprendre à produire des sons. Mais quelques rares animaux, dont une poignée de mammifères et, bien sûr, les êtres humains, sont des apprentis vocalistes. Ils ont besoin d’un feedback (retour) auditif pour apprendre à émettre les bons sons s’ils veulent communiquer.
Les précédentes études de Yartsev avec des chauves-souris frugivores égyptiennes ont montré que les individus qui ont été isolés ou exposés à des environnements acoustiques uniques juste après leur naissance produisaient des vocalisations différentes de celles des groupes de chauves-souris qui ont été élevés normalement.
Toujours selon Yartsev :
Cela suggère que leurs vocalisations ont une certaine plasticité. Nos propres travaux ont montré que, même chez les adultes, si vous exposez les chauves-souris à une perturbation sonore, elles ont la capacité de modifier ou d’adapter leurs vocalisations de manière stable sur des périodes prolongées. Il y a donc de bonnes raisons de penser qu’il existe une certaine forme de plasticité que nous pouvons étudier.
Les Érismatures à barbillons semblent être dans le même cas. Outre le canard qui imitait les insultes de son ancien gardien, Ten Cate en a identifié un autre qui a été élevé avec des Canard à sourcils (Anas superciliosa) et qui, par conséquent, faisait coin-coin comme eux. Les deux canards ont été élevés en captivité depuis leur éclosion. Les canards Érismatures sauvages produisent des sons très différents et ne se soucient pas de l’acquisition de nouveaux sons dans leur répertoire vocal, ce qui explique également pourquoi leurs capacités à acquérir des vocalisations ont été ignorées jusqu’à présent : ils font apparemment d’horribles animaux de compagnie.
En outre, tous les Érismatures captifs ne semblent pas imiter les sons étrangers. Les femelles en captivité ne font pas de démonstrations vocales, et les imitations effectuées par les mâles faisaient partie de leurs messages de démonstration destinés aux partenaires potentiels.
Selon les scientifiques dans leur nouvelle étude :
Avec les précédentes observations de différences vocales entre les populations et de vocalisations déviantes chez les individus élevés en captivité, ces observations démontrent la présence d’un apprentissage vocal avancé à un niveau comparable à celui des oiseaux chanteurs et des perroquets. Nous discutons des conditions d’élevage qui ont pu donner lieu à ces imitations et suggérons que la structure des vocalisations des canards indique un contrôle assez sophistiqué et flexible du mécanisme de production vocale.
L’étude publiée dans Philosophical Transactions of the Royal Society B : Vocal imitations and production learning by Australian musk ducks (Biziura lobata) et présentée sur le site de l’université de Leyde : Even a duck can parrot.