La lèpre découverte pour la première fois chez des chimpanzés sauvages
Une ancienne maladie de l’humain semble avoir franchi la barrière des espèces pour atteindre l’un de nos plus proches cousins primates. Mercredi, des chercheurs ont détaillé la découverte de cas de lèpre dans deux groupes distincts de chimpanzés en Afrique de l’Ouest, les premiers jamais documentés chez des chimpanzés sauvages. L’origine de ces cas est inconnue, mais on pense que la maladie reste rare dans l’ensemble de la communauté des chimpanzés.
Image d’entête : un chimpanzé nommé Woodstock atteint de la lèpre en Côte d’Ivoire. (Tai Chimpanzee Project)
La lèpre est causée par la bactérie Mycobacterium leprae, ce qui en fait un parent de la tuberculose. Semblable aux virus, et contrairement à la plupart des autres bactéries, celle de la lèpre survit en envahissant nos cellules et en détournant leurs fonctions afin de se répliquer. Pour ajouter à sa nature singulière, les symptômes de l’infection peuvent ne pas apparaître avant plusieurs années, voire deux décennies. Il s’agit initialement de lésions ou de plaies d’apparence pâle. Avec le temps, l’infection chronique peut détruire progressivement les cellules nerveuses et oculaires, entraînant des symptômes tels que la perte de sensation, la paralysie, la cécité et des membres définitivement déformés.
Notre histoire avec la lèpre, également appelée maladie de Hansen, remonte aux temps bibliques. Mais malgré les connotations effrayantes qu’elle a longtemps eues, la lèpre est une maladie bénigne. Elle ne se transmet pas facilement, nécessitant généralement des mois de contact étroit entre personnes, et on estime que 95 % des personnes sont naturellement immunisées contre l’infection. Bien que la bactérie ait développé une résistance aux plus anciens médicaments utilisés pour la traiter dans les années 1940, l’infection reste curable grâce à une antibiothérapie à long terme.
Les améliorations de l’assainissement et la disponibilité des antibiotiques ont fait de la lèpre une maladie rare dans le monde. Mais il existe encore des zones où ces ressources ne sont pas aussi abondantes, et environ 200 000 cas ont été signalés en 2019. Dans les années 1970, les chercheurs ont découvert que les humains ne sont pas les seuls hôtes naturels de la bactérie : les tatous des Amériques en sont aussi couramment porteurs, un processus qui a probablement commencé lorsque les Européens ont colonisé le Nouveau Monde en apportant la bactérie avec eux.
Des études ont montré que les chimpanzés captifs peuvent également contracter la lèpre. Mais en juin 2018, des chercheurs étudiant les chimpanzés sauvages en Afrique de l’Ouest ont remarqué d’étranges lésions semblables à la lèpre sur un chimpanzé mâle adulte qu’ils avaient nommé Woodstock. Cette découverte leur a fait se demander si d’autres membres de la même communauté ou d’ailleurs avaient déjà développé des symptômes similaires.
En examinant des échantillons de tissus obtenus après la mort d’un chimpanzé, ils ont identifié un chimpanzé nommé Zora dont le sang contenait des traces de la bactérie de la lèpre avant sa mort en 2009 suite à une attaque de léopard. L’examen ultérieur de photos de Zora a révélé des déformations cutanées qui pourraient avoir été causées par la lèpre, tandis que les échantillons fécaux conservés suggéraient que l’infection avait commencé au moins 7 ans plus tôt. Finalement, le groupe a réussi à trouver plusieurs autres cas de lèpre, confirmés par des tests, parmi deux communautés de chimpanzés éloignées dans les pays de Côte d’Ivoire et de Guinée-Bissau.
Woodstock atteint de la lèpre en Côte d’Ivoire. (Tai Chimpanzee Project)
Selon l’auteur principal Kimberley Hockings, chercheur au Centre d’écologie et de conservation de l’Université d’Exeter au Royaume-Uni :
Il s’agit de la première confirmation de la lèpre chez des animaux non humains en Afrique. Il est étonnant qu’elle se trouve également chez notre plus proche parent vivant, le chimpanzé, surtout si l’on considère à quel point les chimpanzés sont bien étudiés dans la nature.
Bien que le principal suspect pour la façon dont ces chimpanzés ont attrapé la lèpre soit les humains, les chercheurs n’en sont pas si sûrs. Génétiquement, les souches trouvées dans chaque communauté de chimpanzés étaient différentes les unes des autres, et on les trouve rarement chez l’humain ou même dans d’autres réservoirs d’animaux connus. Aucune des deux communautés de chimpanzés ne passe beaucoup de temps à proximité des humains, ce qui rend moins plausible le processus de transmission déjà difficile. Il est donc possible que la lèpre se soit installée chez un plus grand nombre d’espèces non humaines qu’on ne le pense actuellement et que les chimpanzés l’aient attrapée de ces hôtes inconnus. Il est intéressant de noter que des scientifiques britanniques ont découvert en 2016 des preuves que les écureuils pouvaient eux aussi attraper la lèpre.
La bonne nouvelle est que la lèpre des chimpanzés semble être rare. Sur les 467 chimpanzés observés au fil des années dans la communauté où vit Woodstock et d’autres à proximité, par exemple, les chercheurs n’ont identifié que quatre cas au total. Mais les chimpanzés sauvages, contrairement aux humains, n’ont pas accès aux antibiotiques. Et les chercheurs craignent que la lèpre endémique puisse encore toucher ces chimpanzés. Ils affirment que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre la propagation et les origines de la lèpre parmi les populations de chimpanzés sauvages.
L’étude publiée dans Nature : Leprosy in wild chimpanzees et présentée sur le site de l’University d’Exeter : Leprosy confirmed in wild chimpanzees.