Votre cerveau continue à s’accélérer jusqu’à la trentaine
L‘une des plus importantes découvertes neuroscientifiques du XXIe siècle est que le développement du cerveau humain se poursuit bien au-delà de la troisième décennie de la vie. Bien qu’il commence à approcher sa taille adulte à l’âge de dix ans, le cerveau subit une longue période de maturation qui se poursuit tout au long de l’adolescence et jusqu’au début de l’âge adulte.
Ce phénomène a des implications majeures pour la société. Elle permet d’expliquer pourquoi les adolescents prennent de gros risques. Elle suggère que l’éducation devrait être revue pour optimiser l’apprentissage, elle commence à influencer la façon dont les mineurs sont considérés par le système juridique et, dans plusieurs cas, elle a même persuadé la Cour suprême des États-Unis d’émettre des avis historiques sur la culpabilité criminelle des mineurs.
La plupart des connaissances actuelles sur le développement du cerveau proviennent d’études de neuro-imagerie sur l’évolution de la structure et de la fonction de l’organe au fil du temps, et de l’examen post-mortem de sa structure microscopique à différents âges.
Dorien van Blooijs, de la Mayo Clinic aux États-Unis, et ses collègues ont adopté une approche différente : Ils ont stimulé électriquement le cortex cérébral de 74 patients opérés pour une épilepsie pharmacorésistante, résistante au traitement, afin d’enregistrer la chronologie des réponses dans les zones adjacentes du cerveau.
En mesurant le court délai entre le stimulus et la réponse, ils ont pu calculer la vitesse de transmission neuronale. Et comme leurs patients étaient âgés de 4 à 64 ans, ils ont pu voir comment la vitesse de transmission a évolué au début de la vie et comment elle a changé à l’âge adulte.
Les chercheurs ont effectué ces mesures à l’intérieur et entre plusieurs régions du cerveau dans les lobes frontal, temporal et pariétal. Leurs résultats, publiés cette semaine (lien plus bas), révèlent une variabilité entre les patients, mais dans l’ensemble, les retards de transmission diminuent au cours de l’enfance et de l’adolescence, et se poursuivent, chez la plupart des patients examinés, jusqu’à l’âge adulte. Un patient âgé de 35 ans présentait la vitesse de transmission la plus élevée.
Les fibres à longue portée reliant des régions cérébrales éloignées présentaient les plus fortes augmentations de la vitesse de transmission, doublant de 1,5 à 3 mètres par seconde dans l’enfance à 3 à 6 mètres par seconde à l’âge adulte. La vitesse de transmission des connexions à courte distance entre régions cérébrales voisines a augmenté dans une moindre mesure, atteignant jusqu’à 2 mètres par seconde à l’âge adulte.
A partir de l’étude : position des électrodes, trajets des fibres et potentiels évoqués. Surface du cerveau montrant les voies de la substance blanche et les positions des électrodes aux extrémités pour les 74 sujets. (b) Potentiel évoqué cortico-cortical de jeunes sujets (lignes noires, 4, 7 et 8 ans) et de sujets plus âgés (lignes bleues, 26, 34 et 35 ans) à travers la voie frontale-pariétale après une stimulation pariétale. (D. van Blooijs et col./ Nature neuroscience)
La vitesse de transmission est déterminée par la matière blanche, qui se compose de myéline, un tissu gras isolant qui, dans le cerveau, est produit par des cellules non neuronales appelées oligodendrocytes et qui s’enroule autour des fibres nerveuses dans le cadre d’un processus appelé myélinisation. Par analogie, les neurones myélinisés sont comparables à des fils de cuivre (neurones) entourés d’une gaine plastique (myéline). Les neurones myélinisés transmettent les signaux plus rapidement que les neurones dépourvus de myéline.
De précédentes études réalisées post mortem suggéraient que la myélinisation commençait juste avant la naissance et se poursuivait jusqu’à la fin de l’adolescence, tandis que l’imagerie cérébrale montrait que le processus atteignait un plateau vers l’âge de 30 ans. Mais certaines études antérieures sur la vitesse de transmission donnent des résultats très variables : certaines montrent que les délais de transmission diminuent jusqu’à l’âge de 20 ans avant d’augmenter, tandis que d’autres montrent qu’ils continuent à diminuer jusqu’à l’âge de 40 ans.
Ces incohérences peuvent être dues au fait que chacune de ces études a utilisé des méthodes différentes pour examiner différentes régions du cerveau. Ces dernières années, il est également apparu clairement que la distribution de la myéline n’est pas statique, mais qu’elle évolue en réponse à des expériences quotidiennes telles que l’apprentissage. Cette plasticité de la matière blanche peut être un autre facteur de confusion dans ces études et une source de variabilité dans cette dernière étude.
Quoi qu’il en soit, les nouveaux résultats sont généralement en accord avec l’idée que la maturation du cerveau se poursuit pendant la troisième décennie de la vie, et la découverte que les vitesses de transmission continuent d’augmenter pendant l’adolescence et le début de l’âge adulte pourrait contribuer à expliquer pourquoi des troubles psychiatriques tels que la schizophrénie ont tendance à se développer pendant cette période de la vie.
L’étude publiée dans Nature neuroscience : Developmental trajectory of transmission speed in the human brain et présentée sur le site de l’UMC Utrecht Brain Center du Centre médical universitaire d’Utrecht : Decline comes later than previously thought.