Ces anciennes créatures semblables à des méduses auraient évolué vers un autre type de système nerveux
Les cténophores ou cténaires n’ont rien d’extraordinaire à première vue. Pourtant, ils fascinent les chercheurs depuis longtemps. Tout d’abord, ils sont très anciens. Ces créatures ont évolué au cours du Cambrien, il y a 540 millions d’années, lorsque la vie macroscopique commençait à se diversifier. Mais surtout, elles sont différentes du reste de la vie sur Terre.
Image d’entête : un Cténophore. (John Turnbull)
Bien qu’elles ressemblent à des méduses, elles sont très différentes. Aujourd’hui, une nouvelle étude suggère que leur système nerveux pourrait également être différent. Elles ne semblent pas avoir de synapses et leurs neurones sont fusionnés.
Au cours du Cambrien, l’évolution s’est emballée. Les conditions étaient réunies pour que la vie commence à remplir les niches de l’écosystème disponibles à l’époque. C’était une période d’expérimentation biologique. L’évolution ne « conçoit » pas, elle fait des essais et ce qui fonctionne s’accroche. Étant donné qu’une grande partie de la vie sur Terre était encore nouvelle, il y a eu beaucoup d’essais, et de nombreuses créatures qui ont évolué à l’époque semblent tout à fait bizarres aujourd’hui.
De jeunes cténophores Mnemiopsis leidyi, visualisés à l’aide d’un éclairage par le haut, qui provoque l’irisation des créatures. (Joan J. Soto Àngel/ Université de Bergen)
De nombreuses créatures du Cambrien n’ont pas résisté à l’épreuve du temps, mais certaines y sont parvenues. Les éponges font partie des groupes qui ont réussi et qui existent encore aujourd’hui. Elles n’ont même pas de système nerveux, de muscles ou de vision. Pourtant, elles ont réussi à prospérer pendant des centaines de millions d’années, survivant à de nombreuses extinctions qui ont anéanti d’autres créatures.
Les cténophores constituent un autre groupe étrange. À première vue, elles ressemblent à des méduses. Elles n’ont pas de symétrie bilatérale, comme la plupart des créatures actuelles. En d’autres termes, elles n’ont pas de gauche et de droite symétriques. Elles ont également un corps mou et nagent dans les mers, propulsées par de minuscules poils appelés cils. Mais en y regardant de plus près, les similitudes s’arrêtent là.
À la différence des méduses, les cténophores n’ont pas de tentacules urticants. Ce sont des prédateurs qui utilisent leurs bras pour attraper leurs proies. Elles ne se contentent pas non plus de dériver dans les océans : elles nagent. Lorsqu’ils sont poursuivis par des prédateurs, ils peuvent nager plus vite. Ces créatures étranges rappellent à quel point la vie sur Terre peut être diversifiée. Mais aujourd’hui, elles sont devenues encore plus bizarres.
Leur système nerveux ne ressemble à rien de ce que les chercheurs ont pu observer auparavant. En général, les systèmes nerveux reposent sur de minuscules espaces entre les neurones, appelés synapses. Ces espaces permettent la communication entre les neurones. Mais les cténophores n’ont pas de synapses. Leurs neurones filandreux sont fusionnés et partagent une membrane cellulaire commune.
Cette différence est si fondamentale que les chercheurs pensent qu’il s’agit d’un type de système nerveux différent qui a évolué séparément du reste de l’arbre de la vie. C’est un peu comme si les chauves-souris et les oiseaux avaient évolué séparément vers le vol. En fait, cela pose la question de l’évolution des cténophores.
Un ctenophore Mnemiopsis leidyi. (Alexandre Jan/ Université de Bergen)
Auparavant, on pensait que les éponges étaient les premiers animaux à avoir émergé, parce qu’elles sont rudimentaires à bien des égards. Mais cette découverte pourrait indiquer que les cténophores sont apparus encore plus tôt.
Si ce sont effectivement les cténophores qui sont apparus en premier, cela pourrait signifier que les éponges avaient elles aussi un système nerveux similaire et qu’elles l’ont ensuite transformé en sa forme actuelle. L’autre option serait que les cténophores ont développé le système nerveux après avoir divergé d’un ancêtre commun.
Pour compliquer encore les choses, nous ne savons même pas comment fonctionne ce système nerveux. Il existe d’autres animaux qui ont des neurones quelque peu fusionnés, mais rien de comparable à celui des cténophores. La situation est encore plus étrange : les cellules des cténophores ont également des synapses, mais seulement en certains points. Leurs neurones communiquent donc par l’intermédiaire des synapses dans certains cas, et par le système fusionné dans d’autres.
Les chercheurs pensent qu’il s’agit là de l’un des principaux secrets de leurs remarquables capacités de régénération. Les cténophores possèdent des organes reproducteurs mâles et femelles et peuvent se féconder eux-mêmes. Si vous coupez un morceau de l’organisme, un nouvel individu se développera.
Mais voilà : il s’agit de plus de 500 millions d’années d’évolution. Nous pourrions avoir affaire à une mosaïque d’adaptations différentes qui se sont développées au fil d’éons.
Nous observons aujourd’hui une nouvelle pièce du puzzle. Mais celui-ci est encore incomplet et il manque de nombreuses pièces. Si nous voulons comprendre ces créatures, nous devons examiner plus en détail un plus grand nombre d’espèces et voir comment elles se ressemblent et diffèrent les unes des autres.
L’étude publiée dans Science : Syncytial nerve net in a ctenophore adds insights on the evolution of nervous systems et présentée sur le site du Michael Sars Centre de l’Université de Bergen : Discovery challenges our understanding of nervous systems and their evolution.