Les grenouilles femelles font parfois la morte pour éviter de s’accoupler avec les mâles
Dans le monde sauvage, où le seul but d’un organisme est de réussir à transmettre ses gènes coûte que coûte, il n’est pas surprenant que de nombreuses espèces adoptent des comportements agressifs, voire mortels, lors de l’accouplement.
Image d’entête : couple de grenouilles rousse (Rana temporaria), le mal tient fermement la femelle bien plus grosse que lui et couleur cuivre. (Richard Bartz/ wikimedia)
Des chercheurs dirigés par Carolin Dittritch, de l’Institut d’éthologie Konrad Lorenz de Vienne, en Autriche, ont découvert par hasard que des femelles simulaient leur propre mort pour éviter de s’accoupler avec un mâle indésirable. Cette découverte va à l’encontre des hypothèses selon lesquelles l’empilement de mâles excités, qui se produit fréquemment au cours de ces périodes de reproduction libre, est un phénomène sur lequel les infortunées grenouilles femelles n’ont pas de pouvoir.
Cet acte d’immobilité tonique, ou thanatose, est un acte de tromperie adapté que certaines espèces de proies utilisent en présence d’un prédateur. Récemment, des scientifiques ont été surpris d’observer la thanatose initiée par une colonie entière de fourmis Polyrhachis femorata sur l’île Kangourou, en Australie, et c’était la première fois que l’on voyait un « faire le mort » collectif. Toutefois, ce phénomène n’a été observé qu’une poignée de fois dans le cadre de comportements sexuels intraspécifiques.
Au cours d’accouplements collectifs intenses, féroces et frénétiques connus sous le nom de “reproduction explosive”, un terme qui laisse peu de place à l’imagination, les grenouilles rousse (Rana temporaria) mâles sont connues pour harceler, intimider et tenter de dominer physiquement les femelles, généralement dans l’eau, ce qui peut entraîner la mort de l’un ou des deux animaux.
Les femelles, cependant, ont mis au point une astucieuse stratégie pour éviter le harcèlement des partenaires indésirables, en convainquant leurs prétendants gênants qu’elles sont mortes. La mort d’une femelle n’est en effet pas propice au gaspillage d’énergie d’un mâle qui tente de transmettre sa précieuse collection de gènes. Ce type d’immobilité tonique liée à l’accouplement n’a été observé que chez un seul autre amphibien, le Pleurodèle de Waltl (Pleurodeles waltl).
Selon les chercheurs :
Nous avons observé trois comportements d’évitement chez les femelles, à savoir la « rotation », le(s) « appel(s) à la libération » et l’immobilité tonique. Nous avons défini la rotation comme le fait pour une femelle de commencer à tourner autour de l’axe de son propre corps lorsqu’elle est prise en amplexion par un mâle, tandis que ce dernier essaie de contrecarrer la rotation avec ses pattes arrière.
Les scientifiques ont observé deux cris émis par la femelle, un grognement et un couinement, et, chez certains animaux (33 %), ont vu la grenouille jouer le rôle de sa vie, raidir ses membres et faire la morte, envoyant à son malchanceux compagnon un message convaincant de funeste non-conformité. Heureusement, grâce au coût élevé de l’énergie nécessaire à la production de sperme et à l’accouplement, cet acte digne d’un Oscar suffit à lui faire perdre l’attention qu’il avait auparavant.
Si la majorité des femelles observées (83 %) ont eu recours à la technique de la rotation, qui consiste à faire pivoter leur corps lorsque le mâle les enserre dans l’eau, ce qui permet de tester la force du prétendant et de le rendre plus vulnérable à la noyade, un tiers d’entre elles , en particulier les grenouilles de petite taille, ont tout de même eu recours à la thanatose, avec un grand succès.
Les scientifiques ne savent pas exactement pourquoi les femelles ont adopté ce comportement. Les grenouilles mâles ne fournissent pas de soins parentaux et n’aident pas à défendre les ressources, de sorte que le fait d’être sélectif ne présente que peu d’avantages pour la grenouille. Quant à l’argument de « l’épreuve de force », les mâles plus grands n’ont pas plus de chance de s’accoupler que les grenouilles plus petites.
Ce comportement est particulièrement curieux, étant donné que l’adaptation la plus courante est l’évolution physiologique pour contrer la copulation agressive des mâles. De nombreux oiseaux aquatiques, par exemple, ont coévolué pour se défendre contre les mâles qui ont sélectivement développé des organes reproducteurs plus efficaces. Il s’agit notamment de « poches » vaginales en cul-de-sac destinées à filtrer le sperme des partenaires indésirables, ainsi que de formes complexes telles que des spirales qui s’opposent à la forme en tire-bouchon du pénis du mâle.
Et bien que les tactiques des grenouilles ne soient pas infaillibles, avec un taux de réussite de 46 % seulement pour celles qui sont sous l’emprise de mâles agressifs, faire la morte est sans doute un peu plus rapide à maîtriser que l’évolution.
L’étude publiée dans Royal Society Open Science : Drop dead! Female mate avoidance in an explosively breeding frog.