Ces vers prédateurs "géants" vivaient dans les eaux du Groenland il y a 518 millions d’années
Des scientifiques ont découvert des fossiles représentant une nouvelle espèce d’énorme ver prédateur qui devait chasser dans la colonne d’eau de la Terre il y a plus de 518 millions d’années.
Des chercheurs des écoles des sciences de la terre et des sciences biologiques de l’université de Bristol pensent que ce ver, nommé Timorebestia, ou « bête de terreur » en latin, était l’un des premiers animaux carnivores et nageurs de la Terre et qu’il faisait partie d’une « dynastie » de prédateurs qui était jusqu’à présent inconnue des scientifiques.
Image d’entête : au centre, représentation de deux Timorebestia koprii dans l’écosystème pélagique conservé du Sirius Passet. (Robert Nicholls/ BobNichollsArt/ Université de Bristol)
Selon Jakob Vinther, l’un des principaux auteurs de l’étude :
Nous savions jusqu’à présent que des arthropodes primitifs étaient les prédateurs dominants du Cambrien, comme les anomalocaridés à l’allure bizarre. Toutefois, Timorebestia est un parent éloigné, mais proche, des vers sagittaires vivants, ou chétognathes. Il s’agit aujourd’hui de prédateurs océaniques beaucoup plus petits qui se nourrissent de minuscules zooplanctons.
Les fossiles, découverts dans le dépôt sédimentaire de Sirius Passet du Cambrien, au nord du Groenland, ont révélé que le Timorebestia possédait également des nageoires sur les flancs de son corps, une imposante mâchoire à l’intérieur de sa bouche et de longues antennes. Bien que sa longueur de 30 cm ne corresponde pas au nom de « bête de terreur » donné au ver, Timorebestia aurait été, à l’époque, l’un des plus grands nageurs.
A partir de l’étude : le spécimen préservé (holotype) et une interprétation dessinée de l’animal. (Tae-Yoon S. Park et col./ Science Advances)
Toujours selon Vinther :
Nos recherches montrent que ces anciens écosystèmes océaniques étaient assez complexes, avec une chaîne alimentaire qui permettait plusieurs niveaux de prédateurs. Les timorebestia étaient des géants de leur époque et auraient été proches du sommet de la chaîne alimentaire. Son importance est donc équivalente à celle de certains des principaux carnivores des océans modernes, tels que les requins et les phoques du Cambrien.
Le système digestif fossilisé a fourni aux chercheurs des indices sur le régime alimentaire du ver, des restes d’un arthropode nageur, le bivalve disparu Isoxys, ayant été identifiés.
Selon Morten Lunde Nielsen, ancien chercheur à l’université de Bristol et participant à l’étude :
Nous pouvons voir que ces arthropodes étaient une source de nourriture pour de nombreux autres animaux. Ils sont très communs à Sirius Passet et possèdent de longues épines protectrices, dirigées vers l’avant et vers l’arrière. Cependant, il est clair qu’ils n’ont pas complètement réussi à éviter ce destin, car Timorebestia les a dévorés en grande quantité.
Leur plus proche parent vivant, les chétognathes (ou vers sagittaires), mesurent généralement moins de 1 cm de long et se nourrissent de minuscules zooplanctons.
A partir de l’étude : reconstruction montrant l’anatomie interne et externe (rouge, musculature ; bleu, ganglion ventral ; noir, appareil maxillaire ; vert, intestin). (Tae-Yoon S. Park et col./ Science Advances)
Selon Vinther :
Les vers sagittaires et les Timorebestia, plus primitifs, étaient des prédateurs nageurs. Nous pouvons donc supposer que, selon toute vraisemblance, ils étaient les prédateurs qui dominaient les océans avant que les arthropodes ne prennent leur essor. Ils ont peut-être connu une dynastie d’environ 10 à 15 millions d’années avant d’être supplantés par d’autres groupes plus performants.
Le Timorebestia peut également fournir d’importants indices sur l’évolution des vers sagittaires. Ces derniers n’ont peut-être pas la mâchoire interne de leur parent, mais ils ont des nageoires qui longent leur corps et une tête distinctive ornée de pointes autour de leur bouche pour les aider à capturer leurs proies.
Selon Luke Parry, de l’université d’Oxford, qui a participé à l’étude :
Timorebestia est une découverte très importante pour comprendre d’où viennent ces prédateurs à mâchoire. Aujourd’hui, les vers sagittaires ont des soies menaçantes à l’extérieur de leur tête pour attraper leurs proies, alors que Timorebestia a des mâchoires à l’intérieur de sa tête. C’est ce que nous observons aujourd’hui chez les vers à mâchoires microscopiques, des organismes avec lesquels les vers sagittaires partageaient un ancêtre il y a plus d’un demi-milliard d’années. Timorebestia et d’autres fossiles de ce type établissent des liens entre des organismes étroitement apparentés qui semblent aujourd’hui très différents.
Mais, comme c’est souvent le cas en biologie évolutive, la plupart des liens vraiment intéressants se trouvent sous la surface. En l’occurrence, un centre nerveux unique que le Timorebestia semble avoir en commun avec les vers sagittaires renforce la conviction des scientifiques qu’il s’agit de l’ancêtre « géant » de la petite espèce.
Pour Tae Yoon Park, de l’Institut coréen de recherche polaire, l’un des principaux auteurs de l’étude :
Notre découverte confirme l’évolution des vers sagittaires. Ces derniers possèdent un centre nerveux distinct sur leur ventre, appelé ganglion ventral. Ce centre est entièrement unique à ces animaux. Nous avons trouvé cela préservé dans le Timorebestia et dans un autre fossile appelé Amiskwia. On s’est demandé si l’Amiskwia était étroitement lié aux vers sagittaires et s’il faisait partie de leur lignée évolutive. La préservation de ces ganglions ventraux uniques nous conforte dans cette hypothèse.
Nous avons beaucoup d’autres découvertes passionnantes à partager dans les années à venir, qui nous aideront à montrer à quoi ressemblaient les premiers écosystèmes animaux et comment ils ont évolué.
L’étude publiée dans Science Advances : A giant stem-group chaetognath et présentée sur le site de l’Université de Bristol : ‘Giant’ predator worms more than half a billion years old discovered in North Greenland.