La culture des chimpanzés est anéantie avec leurs habitats
Les chimpanzés se distinguent des autres espèces non humaines par la diversité de leur comportement et de leur culture. Mais d’après une nouvelle étude cela pourrait ne pas durer, car l’activité humaine détruit cette culture.
Image d’entête : des chimpanzés mâles de la communauté Rekambo se toilettent les uns les autres au parc national de Loango, au Gabon. (Tobias Deschner/ Loango Chimpanzé Project)
Tous les grands singes, y compris les chimpanzés (Pan troglodytes), sont soumis à une immense pression en raison de la destruction de leurs habitats par les activités humaines. Les forêts tropicales humides et les savanes (habitats de choix pour bon nombre de ces espèces) sont particulièrement touchées, car elles sont défrichées pour faire place à des terres agricoles, des infrastructures ou des biens immobiliers.
Il n’est donc pas surprenant que la disparition d’espèces sauvages soit surtout considérée sous l’angle de la perte de biodiversité, le déclin du nombre total d’espèces ou de la diversité génétique dans un écosystème. Cependant, ce n’est qu’une partie du tableau, explique une nouvelle étude. Nous devrions également nous pencher sur les conséquences de nos activités sur la diversité des comportements à l’état sauvage, une facette rarement observée de la biodiversité.
L’équipe, dirigée par Hjalmar Kühl et Ammie Kalan du Département de primatologie de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive et du Centre allemand de recherche sur la biodiversité intégrative (iDiv), a travaillé avec un ensemble de données détaillant le comportement de 31 chimpanzés de 144 groupes sociaux ou communautés différentes réparties dans toute leur zone géographique.
Une partie de ces données était disponible grâce à de précédentes recherches et le reste a été enregistré par l’équipe sur 46 sites au cours des 9 dernières années, dans le cadre du Pan African Programme. Les données portaient principalement sur l’extraction et la consommation de termites, de fourmis, d’algues, de noix et de miel, l’utilisation d’outils, ainsi que l’utilisation de pierres, de bassins et de grottes comme abris, entre autres facteurs. De telles activités, écrit l’équipe, sont transmises socialement dans les communautés de chimpanzés et varient d’un groupe à l’autre, formant essentiellement un contexte » culturel « .
L’occurrence de chaque type de comportement a été analysée par rapport à une mesure globale de l’impact humain sur chaque site. Cette figure regroupe plusieurs facteurs (tels que la densité de population humaine et le couvert routier, fluvial et forestier) qui indiquent le niveau de perturbation et le degré de changement de l’habitat causé par l’activité humaine.
Selon Kalan :
L’analyse a révélé un schéma consistant : les chimpanzés avaient réduit la diversité comportementale sur les sites où l’impact humain était élevé.
Ce schéma était cohérent, indépendant du regroupement ou de la catégorisation des comportements. En moyenne, la diversité comportementale des chimpanzés a été réduite de 88 % lorsque l’impact humain était le plus élevé par rapport aux endroits où l’impact humain était le plus faible.
La taille et l’intégrité de la population jouent un rôle clé dans le maintien des traits culturels chez les humains, écrit l’équipe. Cela fonctionne probablement de la même façon dans les groupes de chimpanzés, ajoutent-ils. Une autre cause possible de la réduction de la diversité comportementale observée peut être due au fait que les chimpanzés évitent les comportements ostentatoires qui peuvent attirer les chasseurs, comme de fendre des noix.
La dégradation de l’habitat (et l’épuisement des ressources qui en découle) peut également limiter les possibilités d’apprentissage social dans les communautés de chimpanzés, ce qui les empêcherait de transmettre des traditions entre générations. L’équipe cite également les changements climatiques comme une cause probable, car ils peuvent influencer les cycles de croissance des ressources alimentaires des chimpanzés et les rendre imprévisibles.
Toutefois, il est fort probable que les effets observés soient causés par une combinaison de ces facteurs.
Selon M. Kühl :
Nos conclusions suggèrent que les stratégies de conservation de la biodiversité devraient être étendues à la protection de la diversité comportementale des animaux.
Les sites ayant des comportements exceptionnels peuvent être protégés en tant que » sites du patrimoine culturel des chimpanzés » et ce concept peut être étendu à d’autres espèces présentant un degré élevé de variabilité culturelle, notamment les orangs-outans, les singes capucins ou les baleines.
L’étude publiée dans Science : Human impact erodes chimpanzee behavioral diversity et présentée sur le site de l’université d’état d’Arizona : Human impacts erode behavioral diversity in chimpanzees.