La découverte d’ammoniaque sur Pluton suggère la possibilité de la présence d’un océan viable
Les scientifiques qui étudient les données de la mission spatiale New Horizons de la NASA ont trouvé des traces d’ammoniac à la surface de Pluton.
Pour Cristina Dalle Ore, spécialiste des planètes au Search for Extraterrestrial Intelligence Institute (SETI) et au NASA Ames Research Centre, en Californie, c’est une découverte passionnante, car selon les normes géologiques, l’ammoniac ne devrait pas subsister très longtemps à la surface du Pluton sous l’action des ultraviolets, du rayonnement cosmique et autres radiations qui détruises ce dernier.
Selon Dalle Ore :
C’est vraiment fragile. Quand il y a de l’ammoniac à la surface, ça veut dire qu’il est arrivé récemment.
C’est aussi une forte indication que Pluton n’a pas seulement eu un jour un océan souterrain, mais qu’il en a toujours un, parce que l’eau contenant de l’ammoniac qui s’en dégage est la source la plus probable du composé.
Le fait que de l’ammoniac ait été détecté le long d’une profonde crevasse à la surface de Pluton, appelé Virgil Fossae, en est une autre preuve. Non seulement cette fosse semble être une fissure dans la croute de Pluton qui pourrait permettre aux liquides souterrains d’atteindre la surface, mais elle semble aussi être le site d’éruptions volcaniques, où une sorte de liquide s’est répandu, puis a gelé rapidement.
Distribution de glace d’eau teintée en rouge montrant la signature spectrale de l’ammoniac dans Virgil Fossae et le terrain environnant. (B) est une image illustrant la coloration rouge vif unique de Virgil Fossa, tandis que (C) montre la répartition géographique de la glace d’eau et de l’ammoniac. (NASA/ Johns Hopkins University/ Southwest Research Institute)
Sur Terre, les endroits où de tels liquides se répandent, sous forme de roche en fusion, sont les volcans. Mais Pluton est froide : si froide que sa température de surface oscille autour des -233 °C, et la glace d’eau a la consistance du substrat rocheux. À ces températures, même l’eau la plus froide qui s’échappe d’un océan souterrain pourrait être un substitut séduisant à de la lave.
La découverte de l’ammoniac, selon Dalle Ore, rend plus probable l’existence d’un tel océan souterrain, car ce composé est un excellent antigel, ce qui permet aux mélanges ammoniac-eau de rester liquides à des températures allant jusqu’à -90 °C, températures qui pourraient être générées plus facilement par la chaleur radioactive s’échappant lentement du cœur de Pluton.
Ce n’est pas la seule preuve qu’un tel océan pourrait exister.
Le bassin géant de la plaine Spoutnik, le lobe ouest du fameux « cœur » de Pluton, n’est pas loin de Virgil Fossae, et il est associé à une anomalie gravitationnelle qui s’explique mieux par de l’eau sous-jacente. Récemment, les scientifiques ont calculé que les conditions à la base de la croûte de glace de Pluton conviennent à la formation d’une couche isolante d’un type exotique de glace appelé hydrates de gaz, que Dalle Ore compare à un duvet ou une veste d’hiver.
Toujours selon Dalle Ore :
Entre cela, qui maintient l’eau plus chaude, et l’ammoniac qui permet à l’eau d’être liquide à des températures froides, nous avons davantage de preuves qu’il y a un océan.
L’ammoniac est également très intéressant, ajoute-t-elle, parce que c’est un important précurseur de la chimie prébiotique, notamment la formation d’acides aminés et une cascade d’autres produits chimiques biologiquement intéressants.
Nous ne parlons pas d’extraterrestres. Nous ne parlons pas de la vie. Mais nous parlons de la possibilité d’un environnement qui pourrait le favoriser. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’ammoniac est si intéressant.
Pour Francis Nimmo, un scientifique planétaire à l’université de Californie (Santa Cruz/ Etats-Unis), qui ne faisait pas partie de l’équipe de Dalle Ore, la plus grande réserve au sujet de l’étude est qu’il n’est pas convaincu à 100% qu’ils aient réellement trouvé de l’ammoniac.
Selon Nimmo :
C’est une caractéristique spectrale assez subtile, donc il n’est pas tout à fait clair pour moi que c’est vraiment là.
Mais si la découverte est correcte, dit-il, la géologie de Virgil Fossae la rend particulièrement intéressante.
Virgil Fossae a des arêtes vives et traverse des cratères, ce qui fait qu’elle n’a peut-être que quelques centaines de millions d’années. Ce jeune âge correspond à la détection de l’ammoniac, qui est détruit assez rapidement à la surface.
Cette découverte correspond également à la façon dont les scientifiques planétaires pensent que Pluton évolue, avec un océan souterrain qui gèle lentement. Cela mettrait l’eau sous pression au fur et à mesure que la glace se dilate, ce qui pourrait la faire jaillir à la surface par l’intermédiaire de fissures.
Si Pluton a un océan, comme cela semble probable, cela signifie que même les franges les plus éloignées du système solaire sont des régions potentiellement habitables.
Et s’ils ont effectivement des cryovolcans (volcan de glace), cela signifie que ces éruptions ont pu amener des échantillons de cet océan à la surface, où, en principe, ils pourraient être étudiés par de futures missions d’astromobiles (rovers), comparables à celles qui ont longtemps exploré Mars.
L’étude est publiée dans la revue Science Advances : Detection of ammonia on Pluto’s surface in a region of geologically recent tectonism.