Animation suspendue : des scientifiques plongent des souris dans un état similaire à l’hibernation
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L‘animation suspendue évoque la science-fiction, mais il existe un certain nombre d’animaux non humains qui ont la capacité d’entrer dans cet état de faible métabolisme, y compris les souris. Deux études indépendantes ont montré que l’activation de certains neurones peut induire un état d’hibernation chez la souris, ce qui laisse penser que cela pourrait aussi être possible un jour pour l’homme. Les implications seraient d’une grande portée, avec des applications allant de la médecine clinique aux voyages interstellaires.
Image d’entête : La belle au bois dormant par John Collier, 1921. (Wikimedia)
L’hibernation est essentiellement un état de sommeil profond, pendant lequel le taux métabolique et la température du corps chutent considérablement. Par exemple, pendant l’hibernation, la température corporelle du spermophile (écureuils terrestres) passe de 37 °C à près de 0 °C. Le rythme cardiaque devient également lent et irrégulier, parallèlement à un ralentissement du rythme respiratoire.
Comme les fonctions métaboliques du corps ralentissent, l’animal en hibernation peut survivre longtemps, parfois des mois, sans avoir à ingérer de nourriture. C’est pourquoi les animaux en hibernation, comme les ours et les écureuils, consomment de grandes quantités de calories dans les mois qui précèdent la saison d’hibernation.
Cependant, la véritable hibernation est en fait très rare, ne se produisant que chez quelques mammifères et une espèce d’oiseau, l’Engoulevent de Nuttall(Phalaenoptilus nuttallii). Au contraire, la plupart des mammifères qui entrent dans un état d’hibernation sont en fait dans un état de léthargie.
La léthargie (torpor en anglais) est une version plus légère de l’hibernation. Bien qu’elle implique également une baisse de la température corporelle, du rythme respiratoire, du rythme cardiaque et du métabolisme, elle est activée involontairement lorsqu’un animal ressent certaines conditions environnementales. En revanche, les animaux qui hibernent vraiment peuvent le faire assez volontairement sans avoir à être incités par la température ou d’autres stimuli externes.
Et, contrairement à l’hibernation, la torpeur dure pendant de courtes périodes, parfois juste le jour ou la nuit, selon les habitudes alimentaires de l’animal.
Par exemple, les souris peuvent entrer en torpeur. Deux nouvelles études menées par des chercheurs de l’université de Harvard et de l’université de Tsukuba au Japon montrent non seulement comment cet état de sommeil profond est déclenché dans le cerveau, mais aussi comment il peut être activé à volonté par la stimulation de certains neurones.
Dans la première étude, des chercheurs japonais ont modifié génétiquement des souris afin qu’elles puissent activer un ensemble de neurones dans l’hypothalamus, connus sous le nom de neurones Q (neurones induisant la quiescence), en les éclairant.
Lorsque ces neurones étaient activés (phase désignée par les chercheurs QIH), la température corporelle des rongeurs chutait de 10 °C ou plus et leur pouls diminuait considérablement, ainsi que leur métabolisme et leur rythme respiratoire.
Posture d’une souris pendant le QIH, un état d’hibernation synthétique, et imagerie infrarouge de leur température. A gauche, souris de contrôle. A droite, souris QIH. (Université de Tsukuba)
Les souris sont restées dans cet état de torpeur pendant plus de 48 heures. Une fois qu’elles sont revenues à leur état de veille normal, les rongeurs se sont comportés normalement, sans aucun signe visible de dommage physique. Les chercheurs au Japon ont répété l’expérience sur des rats, avec des résultats similaires.
Ces expériences ont permis aux scientifiques de cartographier les circuits des neurones impliqués dans le processus. La même technique pourrait être utilisée à l’avenir pour induire des états de torpeur chez d’autres animaux, peut-être même chez l’homme.
L’induction artificielle de la torpeur chez l’homme aurait un large éventail d’applications. La plus immédiate est en médecine, où un état de type hibernation pourrait protéger les patients ayant récemment été victimes d’une crise cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral et de lésions tissulaires débilitantes ou mortelles. La léthargie pourrait également étendre considérablement la préservation des organes destinés à la transplantation.
Mais, pour en revenir à la science-fiction, l’application la plus intrigante et la plus marquante de la léthargie chez l’homme est peut-être le voyage dans les profondeurs de l’espace.
Avec notre technologie de propulsion actuelle, il nous faudrait entre 1 000 et 81 000 ans pour traverser les 4,24 années-lumière entre la Terre et Proxima Centauri, la plus proche étoile après le Soleil. Si nous voulons un jour devenir une espèce interstellaire, ce temps de voyage doit être considérablement réduit. Même dans ce cas, les humains devraient rester confinés dans leur vaisseau spatial pendant des années, de sorte que des périodes prolongées d’hibernation et de sommeil pourraient rendre le voyage beaucoup plus supportable.
Pendant ce temps, à la Harvard Medical School (Etats-Unis), des chercheurs sont parvenus à une conclusion similaire, en montrant que la stimulation des neurones dans les régions du cerveau qui régulent la faim, l’alimentation, la température du corps et de nombreuses autres fonctions peut contraindre les souris à entrer en léthargie pendant des jours. Au cours de leurs expériences, les chercheurs ont réussi à provoquer une léthargie même chez des souris bien nourries. Lorsque l’activité de ces neurones a été bloquée, l’activité naturelle de la léthargie a été perturbée.
Il convient de noter qu’au lieu de procéder à une manipulation génétique, les chercheurs de Harvard ont injecté à 54 souris une quantité infime d’un virus dans 226 régions différentes de l’hypothalamus. Ils ont appris que la torpeur était déclenchée lorsque les neurones d’une région spécifique de l’hypothalamus, appelée avMLPA, étaient activés. Les neurones de stimulation dans d’autres régions de l’hypothalamus n’ont eu aucun effet, ont écrit les chercheurs dans leur étude.
Selon Sinisa Hrvatin, coauteure de l’étude et instructrice de neurobiologie à l’Institut Blavatnik de la faculté de médecine de Harvard :
L’imagination s’emballe quand on pense au potentiel des états d’hibernation chez l’homme. Pourrait-on vraiment prolonger la durée de la vie ? Pour répondre à ces questions, nous devons d’abord étudier la biologie fondamentale de la léthargie et de l’hibernation chez les animaux. Nous et d’autres le faisons : ce n’est pas de la science-fiction.
Ces deux études ont contribué de manière considérable à faire progresser notre compréhension de la façon dont la torpeur ou l’hibernation sont régulées dans le cerveau. Maintenant que les scientifiques ont une meilleure connaissance de la biologie sous-jacente de la torpeur, ils peuvent penser à des applications chez l’homme.
Pour l’auteur principal Michael Greenberg, également du département de neurobiologie de l’Institut Blavatnik de la faculté de médecine de Harvard :
Il est beaucoup trop tôt pour dire si nous pourrions induire ce type d’état chez un humain, mais c’est un objectif qui pourrait en valoir la peine.
Cela pourrait permettre de comprendre l’animation suspendue, le contrôle métabolique et éventuellement l’allongement de la durée de vie. L’animation suspendue en particulier est un thème commun dans la science-fiction, et peut-être que notre capacité à traverser les étoiles en dépendra un jour.
L’étude des chercheurs japonais publiée dans Nature : A discrete neuronal circuit induces a hibernation-like state in rodents et présentée sur le site de l’université de Tsukuba : Hibernation in mice: Are humans next?
L’étude des chercheurs américains publiée également dans Nature : Neurons that regulate mouse torpor et présentée sur le site de la Harvard Medical School : State of Stasis.