Première détection d’un trou noir vagabondant dans notre galaxie
Selon nos meilleures estimations, il devrait y avoir entre 10 millions et 1 milliard de trous noirs stellaires, dérivant paisiblement et tranquillement dans la galaxie. Il y a juste un problème lorsqu’il s’agit de les compter : à moins qu’ils ne parviennent à capturer un matériau de passage dans leur champ gravitationnel, ils sont pratiquement invisibles.
Mais invisible ne veut pas dire indétectable. Pour la première fois, une équipe internationale de scientifiques a réussi à détecter un trou noir solitaire et inactif à un peu moins de 5 200 années-lumière.
Comme nous ne disposons pas actuellement (et ne disposerons peut-être jamais) des outils nécessaires pour sonder directement un trou noir, nous devons observer ses effets sur l’espace qui l’entoure. Pour un trou noir au repos, cet effet est gravitationnel. Et comme le champ gravitationnel d’un trou noir est très intense, il déforme et tord toute lumière qui pourrait le traverser.
Ainsi, lorsque quelque chose d’invisible a amplifié la lumière d’une lointaine étoile, la rendant étrangement plus brillante, les astronomes ont su qu’il y avait probablement un champ gravitationnel à travers lequel elle passait.
Ce phénomène s’appelle microlentille gravitationnelle, et il a été utilisé pour identifier de petits objets peu lumineux qui seraient autrement trop difficiles à repérer par les télescopes. Mais c’est la première fois qu’un trou noir solitaire est détecté.
Selon l’équipe d’astronomes dirigée par Kailash Sahu du Space Telescope Science Institute (États-Unis) :
Nous rapportons la première détection sans ambiguïté et la première mesure de la masse d’un trou noir isolé de masse stellaire.
Nous montrons que la lentille n’émet aucune lumière détectable, ce qui, en plus d’avoir une masse supérieure à ce qui est possible pour une naine blanche ou une étoile à neutrons, confirme sa nature de trou noir.
Les phénomènes de microlentilles gravitationnelles se produisent lorsqu’un objet doté d’un champ gravitationnel passe presque exactement devant une étoile éloignée. Ce champ gravitationnel provoque une courbure de l’espace-temps. Lorsque la lumière traverse le champ gravitationnel, elle suit cette courbure et sa trajectoire est effectivement » courbe « . La lumière est ainsi amplifiée et la position apparente de l’étoile lointaine est très légèrement décalée.
Schéma du phénomène de lentille gravitationnelle : par exemple, un amas de galaxies, au centre de l’image, déforme par sa masse la lumière et la toile de l’espace temps, représenter par la grille bleue. Ainsi, du point de vue de la Terre, en bas à droite, cette courbure de l’espace temps crée un effet de loupe qui permet de grossir les galaxies se trouvant plus loin derrière l’amas de galaxies entrainant l’effet de lentille gravitationnelle. (Hubble/ Acv)
Les précédents événements de microlentille ont conduit à la détection d’exoplanètes (ou encore ici) et d’étoiles trop pâles pour être vues.
Changements de luminosité lors d’un phénomène de lentille gravitationnelle causé par une planète errante (voir ici)
Les expériences mises en place pour surveiller le ciel détectent des milliers d’événements de microlentilles chaque année, la plupart d’entre eux étant des étoiles qui se déplacent devant d’autres étoiles, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu du nombre d’étoiles qui existent.
Le 2 juin 2011, deux études distinctes sur le phénomène de microlentille gravitationnelle, l’Optical Gravitational Lensing Experiment (OGLE) et le Microlensing Observations in Astrophysics (MOA), ont enregistré indépendamment un événement qui a culminé le 20 juillet.
Cet événement, nommé MOA-2011-BLG-191/OGLE-2011-BLG-0462 (abrégé en MOA-11-191/OGLE-11-0462), fut remarquable. Non seulement il était inhabituellement long, environ 270 jours, mais il présentait également un grossissement inhabituellement élevé. Comme les événements à fort grossissement sont sensibles aux perturbations, telles que celles qui pourraient être observées par une planète en orbite autour de l’objet à lentille, les scientifiques se sont rejoints pour effectuer des observations de suivi et des analyses.
Des observations de la région ont été réalisées à huit occasions distinctes à l’aide du télescope spatial Hubble, jusqu’en 2017. Armés de ces données, Sahu et son équipe ont commencé à faire des calculs, et ils ont découvert que le meilleur choix correspondant aux données était un trou noir, et non une étoile.
A partir de l’étude : l’événement de microlentilles MOA-11-191/OGLE-11-0462 tel qu’observé par Hubble. (Sahu et col./ arXiv)
En fait, ils ont même été capables de prendre des mesures du trou noir. Les changements observés dans la lumière de l’étoile distante ont permis à l’équipe de calculer sa masse et son mouvement. Le trou noir, ont-ils découvert, a une masse d’environ 7,1 fois la masse du Soleil. Cela signifie que son horizon des événements, la limite à partir de laquelle même la lumière ne peut s’échapper du trou noir, ne fait que 42 kilomètres de diamètre.
Des scientifiques ont ainsi pu détecter un objet invisible d’une longueur inférieure à un dixième de celle du Grand Canyon, à plus de 5 000 années-lumière de distance, en étudiant la lumière changeante d’une étoile plus lointaine.
L’équipe a même pu calculer la vitesse à laquelle cet objet se déplace dans la Voie lactée : 45 kilomètres par seconde. Ce n’est donc pas n’importe quel vieux trou noir, mais un trou noir “en fuite”.
Il a probablement été éjecté dans l’espace lorsque son étoile précurseur a explosé en supernova. Si l’explosion d’une supernova est déséquilibrée, la force inégale peut projeter le noyau effondré de l’étoile dans l’espace, dans ce qui est appelé un “coup de pied natal” (natal kick). Nous avons déjà vu ces étoiles auparavant : la naine blanche LP 40-365 et le pulsar PSR J0002+6216 en sont deux exemples.
Une étude publiée en 2019 a révélé qu’il pourrait y avoir des millions de trous noirs ayant subi un coup de pied natal et se déplaçant à grande vitesse autour de la Voie lactée. Il se pourrait que MOA-11-191/OGLE-11-0462 soit l’un d’entre eux.
Il est possible que l’objet dérive dans une région de l’espace à haute densité. Selon les chercheurs, de futurs travaux pourraient consister à utiliser des télescopes à rayons X très sensibles pour déterminer si le trou noir présumé accrète de la matière provenant du milieu interstellaire qui l’entoure.
En outre, les futurs instruments pourraient détecter des trous noirs stellaire encore plus isolés. Une fois qu’une population aura été découverte et étudiée, ces données pourront être utilisées pour en savoir plus sur MOA-11-191/OGLE-11-0462 et sur les trous noirs qui peuplent la Voie lactée en général.
Leur découverte, qui doit encore faire l’objet d’un examen par les pairs, devrait être publiée dans The Astrophysical Journal et disponible en prépublication sur arXiv : An Isolated Stellar-Mass Black Hole Detected Through Astrometric Microlensing.