Les fossiles du "berceau de l’humanité" seraient plus vieux d’un million d’années
De multiples restes d’anciens hominidés provenant de grottes d’Afrique du Sud pourraient être beaucoup, beaucoup plus anciens que ne le laissaient supposer les précédentes estimations.
Le système de grottes calcaires de Sterkfontein, situé non loin de Johannesburg, a livré au cours du siècle dernier un si grand nombre d’ossements anciens d’hominidés du genre Australopithecus que son emplacement a été surnommé le “berceau de l’humanité”, un site extrêmement important pour l’étude de l’évolution humaine.
Image d’entête : quatre crânes différents d’australopithèques découverts dans les grottes de Sterkfontein, en Afrique du Sud. (Jason Heaton et Ronald Clarke/ Musée d’histoire naturelle de Ditsong)
Aujourd’hui, de nouvelles techniques de datation suggèrent que les restes remontent à près de 4 millions d’années, ce qui les rend encore plus anciens que le célèbre individu Australopithecus afarensis Dinkinesh, surnommé Lucy.
Entrée des grottes de Sterkfontein surnommé le berceau de l’humanité. (John Walker/ Wikimedia)
Selon le géologue et géophysicien Darryl Granger de l’université Purdue (États-Unis) :
Sterkfontein possède plus de fossiles d’australopithèques que n’importe où ailleurs dans le monde. Mais il est difficile d’obtenir une date précise à leur sujet. Des personnes ont examiné les fossiles d’animaux trouvés à proximité et ils ont comparé les périodes des caractéristiques des grottes, comme les pierres d’écoulement, et ils ont obtenu une série de dates différentes. Nos données permettent de résoudre ces controverses. Elles montrent que ces fossiles sont anciens, bien plus anciens que ce que nous pensions au départ.
La datation des restes n’est pas vraiment facile, surtout dans les grottes. Dinkinesh (Lucy) a été daté à 3,2 millions d’années, sur la base de la datation radiométrique des cendres volcaniques dans les sédiments où il a été trouvé, mais les grottes sont un environnement plus vierge, où les cendres volcaniques ne tombent pas.
Les estimations précédentes pour le système complexe de Sterkfontein étaient basées sur l’âge de la coulée de calcite (plancher stalagmitique) trouvée dans le comblement de la grotte. Elle s’est formée il y a environ 2 à 2,5 millions d’années. Cependant, le plancher stalagmitique peut se former sur des sédiments plus anciens, ce qui semble avoir été le cas à Sterkfontein.
La plupart des restes d’australopithèques de Sterkfontein ont été récupérés dans un remblai de grotte appelé Membre 4. C’est exactement ce à quoi cela ressemble : un matériau qui a rempli ce qui était auparavant une cavité, donnant lieu à un dépôt sédimentaire. Dans ce cas, il a caché, mais préservé, les restes d’anciens hominidés. Le membre 4 a déjà livré le célèbre crâne de Mrs. Ples, l’exemple le plus complet de ce type jamais découvert.
Des travaux antérieurs sur un autre célèbre squelette d’australopithèque de Sterkfontein, celui de l’individu nommé Little Foot, excavé dans le membre 2 de remblai, ont donné un âge de 3,67 millions d’années. Les méthodes de Granger ont été déterminantes dans cette datation. Comme les âges des autres gisements font encore l’objet de vifs débats, Granger et ses collègues ont appliqué leurs méthodes au membre 4.
Plutôt que d’examiner le plancher stalagmitique ou d’autres ossements trouvés à proximité (qui ne sont peut-être pas contemporains des restes en question), l’équipe a examiné la roche dans laquelle les restes d’australopithèques étaient encastrés. Plus précisément, ils ont sondé la désintégration radioactive de deux isotopes rares dans le quartz : l’aluminium 26 et le béryllium 10.
Selon Granger :
Ces isotopes radioactifs, connus sous le nom de nucléides cosmogéniques, sont produits par des réactions de rayons cosmiques à haute énergie près de la surface du sol, et leur désintégration radioactive permet de dater l’enfouissement des roches dans la grotte lorsqu’elles sont tombées dans l’entrée en même temps que les fossiles.
À partir de ces isotopes, l’équipe a pu déterminer que les sédiments contenant des australopithèques datent tous d’une période comprise entre 3,4 et 3,7 millions d’années. Cela signifie que les restes récupérés dans le gisement remontent tous au début de l’ère des australopithèques, et non à sa fin comme on le pensait auparavant.
Selon les chercheurs, cette découverte a des conséquences importantes pour notre vision de l’évolution humaine et de la place de Sterkfontein dans cette évolution.
Selon l’archéologue Dominic Stratford de l’Université du Witwatersrand en Afrique du Sud, coordinateur des recherches sur Sterkfontein :
Les hominidés plus jeunes, y compris le Paranthropus et notre genre Homo, apparaissent entre 2,8 et 2 millions d’années environ. Sur la base des dates suggérées précédemment, les espèces d’australopithèques d’Afrique du Sud étaient trop jeunes pour être leurs ancêtres, de sorte qu’il a été considéré comme plus probable que l’Homo et le Paranthropus ont évolué en Afrique de l’Est.
Le nouveau résultat, cohérent avec la datation de Little Foot, suggère que l’Homo et le Paranthropus, également trouvés dans le Berceau de l’humanité, sont apparus près d’un million d’années après la vie des individus de Member 4, ce qui signifie que l’ordre des événements, et le lieu où ils se sont produits, peuvent être revus.
Pour Granger :
La nouvelle datation des remblais contenant des australopithèques dans les grottes de Sterkfontein relancera sans aucun doute le débat sur les diverses caractéristiques des australopithèques de Sterkfontein, et sur la possibilité qu’il y ait eu des ancêtres sud-africains des hominidés ultérieures.
L’étude publiée dans PNAS : Cosmogenic nuclide dating of Australopithecus at Sterkfontein, South Africa et présentée sur le site de de l’université Purdue : Fossils in the ‘Cradle of Humankind’ may be more than a million years older than previously thought.