De nouvelles images de la lune de Saturne, Titan, provenant du télescope spatial James Webb et de l’observatoire Keck révèlent un rare phénomène nuageux
La saison fut plutôt pluvieuse sur Titan, la plus grande lune de Saturne. C’est un monde étrange, un peu comme la Terre, mais avec des terres faites de glace d’eau, des rivières et des mers remplies de méthane liquide et d’autres hydrocarbures et une atmosphère épaisse et brumeuse, parsemée de nuages de méthane. Et à présent, le télescope spatial James Webb (Webb ou JWST) a observé deux de ces nuages lors d’observations effectuées le 4 novembre qui ont enthousiasmé les scientifiques.
Image d’entête : Titan, le satellite de Saturne, prises par l’instrument NIRCam du télescope spatial James Webb le 4 novembre 2022. À gauche : Image utilisant un filtre sensible à la basse atmosphère de Titan. Les points brillants sont des nuages proéminents dans l’hémisphère nord. Droite : Image composite couleur utilisant une combinaison de filtres NIRCam. Plusieurs caractéristiques importantes de la surface sont indiquées : Kraken Mare serait une mer de méthane ; Belet est composé de dunes de sable de couleur sombre ; Adiri est un élément à l’albédo brillant. (NASA, ESA, CSA, Webb Titan GTO Team)
Conor Nixon, astronome au Goddard Space Flight Center de la NASA dans le Maryland 5etats-Unis), s’est arrangé pour que le JWST passe un total de 15 heures de sa première année à étudier Titan. L’équipe de Nixon souhaitait en particulier étudier l’atmosphère de Titan, afin de cartographier la distribution de la brume et d’identifier de nouveaux gaz, entre autres objectifs.
Et les scientifiques furent enthousiasmés par les données que le JWST leur a envoyées.
En épluchant les données, les chercheurs ont identifié non pas un mais deux nuages, dont, chose intrigante, un nuage situé au-dessus du Kraken Mare, la plus grande des mers de Titan. Les scientifiques ont rapidement eu envie de trouver un moyen de confirmer ces nuages pour comprendre leur évolution dans le temps. L’équipe s’est adressée à l’observatoire Keck à Hawaï, qui a été en mesure de réaliser des observations de Titan deux jours seulement après le JWST.
Issue de précédentes observations : au centre, Titan telle qu’elle apparait à la lumière visible, cachée par un voile opaque, et autour les images obtenues par le spectromètre infrarouge de la sonde spatiale Cassini. (NASA/ JPL-Caltech/ Université de Nantes/ Université d’Arizona)
Selon Imke de Pater, astronome à l’université de Californie à Berkeley, qui dirige les observations de Titan par Keck :
Nous redoutions que les nuages aient disparu lorsque nous avons observé Titan deux jours plus tard avec Keck. Mais à notre grande joie, il y avait des nuages aux mêmes positions, semblant avoir changé de forme.
Cependant, cet alignement ne signifie pas nécessairement que Keck a vu les mêmes nuages que le JWST. Les scientifiques s’attendaient à une forte activité nuageuse parce que l’hémisphère nord de Titan connaît la fin de l’été et capte davantage de rayonnement solaire, donc les nuages de Keck pourraient s’être récemment formés.
Évolution des nuages sur Titan sur une période de 30 heures entre le 4 et le 6 novembre 2022, telle que vue par la NIRCam de Webb (à gauche) et la NIRC-2 de Keck (à droite). (NASA, ESA, CSA, Webb Titan GTO Team/ Alyssa Pagan (STScI))
Et les scientifiques n’ont pas fini d’exploiter ces observations. Ils ont identifié les nuages dans les images prises par la caméra proche infrarouge (NIRCam) du JWST, une caméra puissante capable de prendre des images d’une cible dans plusieurs longueurs d’onde de lumière différentes, ce qui, dans le cas de Titan, permet aux scientifiques de séparer la basse atmosphère.
Mais les chercheurs n’ont pas encore fini d’évaluer toutes les données de NIRCam, et un deuxième instrument était également à l’œuvre. Le spectrographe proche infrarouge (NIRSpec) de l’observatoire a recueilli des spectres. Cette technique divise la lumière réfléchie, par exemple, par l’atmosphère de Titan et mesure la quantité de chaque longueur d’onde de lumière présente. Les spectres devraient aider les scientifiques à cartographier les composés présents dans la basse atmosphère, notamment un étrange point lumineux au-dessus du pôle sud de la lune.
Le JWST devrait également reporter son attention sur Titan en mai ou juin 2023, cette fois à l’aide de son instrument infrarouge moyen (MIRI), qui permettra aux scientifiques de mieux connaître les substances chimiques présentes dans l’atmosphère étrange et brumeuse de la lune.
Les observations de Titan sont particulièrement importantes aujourd’hui, en cette période d’accalmie entre les visites de vaisseaux spatiaux sur cette lune glacée. La mission Cassini de la NASA est arrivée sur Saturne en 2004 et elle est passée devant la lune plus d’une centaine de fois avant de cesser ses activités en 2017. La NASA travaille actuellement sur une nouvelle mission, baptisée Dragonfly, qui sera consacrée à Titan et dans laquelle un drone volera dans le ciel brumeux, permettant aux scientifiques d’étudier la lune depuis une vingtaine de points d’observation.
Représentation artistique du Dragonfly (APL/ Mike Carroll)
Présentée sur le blog de la NASA : Webb, Keck Telescopes Team Up to Track Clouds on Saturn’s Moon Titan.