La taille de la masse en ébullition qui tourne autour d’un trou noir a été mesurée pour la première fois
Des astronomes ont observé la région extérieure du disque d’accrétion d’un trou noir supermassif actif, enrichissant ainsi nos connaissances sur ces monstres cosmiques gourmands.
Un objet dense et invisible, dont la masse peut atteindre des milliards de fois celle de notre soleil, est entouré d’un vaste disque et d’un tourbillon de matière qui s’illumine en tournoyant vers le centre du trou noir. Des chercheurs ont voulu connaitre la taille de ces structures.
Pour la première fois, une détection sans ambiguïté de la lumière infrarouge proche révèle la périphérie du disque d’accrétion qui entoure un trou noir supermassif dont la masse est des centaines de millions de fois celle de notre Soleil, dans une galaxie appelée III Zw 002, située à quelque 1,17 milliard d’années-lumière de la Terre. Ces détections, menées par l’astronome Denimara Dias dos Santos de l’Institut national de recherche spatiale au Brésil, ont révélé la présence du disque d’accrétion à environ 52 jours-lumière (un jour-lumière est égal à 2,6 × 1013 mètre) du trou noir. Cette mesure permettra de mieux comprendre comment les gigantesques trous noirs s’alimentent.
La matière entourant un trou noir est difficile à reconstituer. Malgré leur taille et l’éclat de la matière qui les entoure, les distances qui nous séparent de leur galaxie font qu’ils sont encore trop petits pour que l’on puisse en distinguer les détails. Dans l’impossibilité d’obtenir une image directe de la matière, la lumière captée par la galaxie environnante est analysée à la recherche de signatures spécifiques indiquant la présence d’un disque d’accrétion.
L’une de ces signatures est ce que l’on appelle un “double pic” (double-peak) dans le spectre d’émission. Ce phénomène résulte de la rotation. L’émission est la lumière émise lorsqu’un atome excité perd de l’énergie. Cette énergie se manifeste par une lueur, dont la longueur d’onde dépend de l’élément de l’atome. Imaginez maintenant un disque d’accrétion autour d’un trou noir, comme un disque sur un plateau tournant. Une partie du disque se rapproche de vous, l’autre s’en éloigne. La partie du disque qui se rapproche de nous pousse la lumière de sorte que les longueurs d’onde se raccourcissent, tandis que la partie qui s’éloigne l’étire. Cela signifie que l’émission d’un élément spécifique apparaît dans deux longueurs d’onde, produisant un double pic dans le spectre.
Illustration du disque d’accrétion autour d’un trou noir et de l’émission à double pic. (NOIRLab/ NSF/AURA/ P. Marenfeld)
Des doubles pics ont déjà été détectés autour de trous noirs supermassifs, mais les précédentes détections provenaient d’un point relativement proche du trou noir, connu sous le nom de région de la ligne/ raie spectrale étroite (narrow-line region, indiquée dans l’image ci-dessous). Cela ne donne pas beaucoup d’informations sur l’étendue du disque d’accrétion. Dias dos Santos et ses collègues ont trouvé deux doubles pics et ils ne provenaient pas de la narrow-line region, mais beaucoup plus loin du trou noir, dans ce que l’on appelle la région de la ligne/ raie large (broad line region) du disque d’accrétion.
Modèle générique d’une galaxie active. (a) Le noyau central est un trou noir supermassif entouré d’un disque d’accrétion avec des jets émergeant perpendiculairement au disque d’accrétion. (b) Le noyau est entouré d’un tore obscur de gaz et de poussière. La région à raies larges occupe le trou au milieu du tore et la région à raies étroites se trouve plus loin. (c) L’ensemble de l’AGN apparaît comme un noyau brillant dans une galaxie par ailleurs normale. Notez que les jets s’étendent au-delà de la galaxie hôte et se terminent par des lobes radio. (OpenU)
Il s’agit de la première détection de doubles pics dans la région de la raie large, et de la première détection de doubles pics à l’aide d’un instrument dans le proche infrarouge.
Selon l’astrophysicien Alberto Rodriguez-Ardila, du Laboratoire national d’astrophysique au Brésil :
Pour la première fois, la détection de tels profils à double crête permet d’établir des contraintes solides sur la géométrie d’une région qu’il n’est pas possible de déterminer autrement. Nous disposons à présent de preuves claires du processus d’alimentation et de la structure interne d’une galaxie active.
Le premier double pic, situé dans la partie intérieure de la région des raies larges, était constitué d’hydrogène. La modélisation suggère que ce pic se situe à une distance de 16,77 jours-lumière du trou noir. Le second, une détection d’oxygène, provenait de la périphérie de la région, à environ 18,86 jours-lumière du trou noir. La modélisation suggère également que la région de la raie large s’étend jusqu’à un rayon de 52,43 jours-lumière du trou noir. Cela représente 9 078 unités astronomiques. Pour mettre cela en perspective, Pluton se trouve à 40 unités astronomiques du Soleil.
Les deux doubles pics, l’hydrogène à gauche et l’oxygène à droite. (Dias dos Santos et col./The Astrophysical Journal Letters)
Cela semble énorme, et pour nous ça l’est, mais c’est assez cohérent avec les tentatives de mesure de la taille des disques d’accrétion en utilisant les échos de la lumière qui rebondissent sur le bord intérieur du tore, une taille que les chercheurs qualifient de « compacte » dans leur étude.
L’équipe continuera à surveiller la galaxie pour voir si son comportement actuel correspond à leurs prédictions.
Selon Rodriguez-Ardila :
Cette découverte nous donne de précieuses indications sur la structure et le comportement de la région de la raie large dans cette galaxie particulière, et met en lumière les phénomènes fascinants qui se produisent autour des trous noirs supermassifs dans les galaxies actives.
L’étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters : First Observation of a Double-peaked O i Emission in the Near-infrared Spectrum of an Active Galaxy et présentée sur le site du NoirLab : Accretion Disks: How Big Are They Really?