Bien qu’elle n’ait pas de cerveau, cette méduse peut se souvenir du passé
Pour la première fois, une minuscule méduse a fait preuve d’une importante capacité cognitive : celle d’apprendre par association. Bien qu’elle ne possède pas de cerveau central, la cuboméduse des Caraïbes (Tripedalia cystophora), de la taille d’un doigt, peut être entraînée à associer la sensation d’un choc à un indice visuel et à utiliser cette information pour éviter de futures collisions.
Image d’entête : cuboméduse des Caraïbes (Tripedalia cystophora). Les points noirs incrustés au bas de la “cloche” sont le centre sensoriel visuel et d’apprentissage de l’animal, appelé rhopalie. (Jan Bielecki)
Les résultats de cette nouvelle étude (lien plus bas) suggèrent que pratiquement tout ce qui dispose d’une poignée de neurones et d’un moyen de percevoir son environnement peut adapter son comportement sur la base d’expériences antérieures.
Pour Jan Bielecki, neurobiologiste à l’université de Kiel, en Allemagne et premier auteur de l’étude :
L’apprentissage est le summum de la performance pour les systèmes nerveux.
Mais de quel type de système nerveux s’agit-il ? Les pieuvres se débrouillent incroyablement bien sans masse centralisée de matière grise, résolvant les problèmes grâce à un réseau d’environ un demi-milliard de neurones répartis dans leurs membres. Même l’humble limace de mer Aplysia californica a montré qu’elle était tout à fait capable d’apprendre avec seulement 20 000 cellules nerveuses.
Quant aux méduses, la T. cystophora est loin d’être stupide. Chacune de leurs quatre structures de vision, ou rhopalie, comprend deux yeux et un millier de photorécepteurs. Ces nerfs servent à la fois de systèmes sensoriels et de centres de synthèse pour transformer les stimuli en réponses, aidant ainsi la cuboméduse à se frayer un chemin à travers les forêts denses de racines de palétuviers à la recherche de ses proies.
Cuboméduse des Caraïbes (Tripedalia cystophora). (Jan Bielecki)
Afin de déterminer si un système aussi rudimentaire de “méduse voit, méduse fait” peut apprendre, Bielecki et ses collègues ont placé des spécimens adultes de T. cystophora dans un aquarium rond aux parois rayées de gris pour imiter les barres verticales d’une mangrove lointaine. Ne voyant que sa liberté, la méduse s’est naturellement dirigée vers le mur sans réfléchir. Il n’a pas fallu longtemps pour que leur enthousiasme s’estompe. À la fin des 7,5 minutes d’essai, la méduse pivotait en moyenne quatre fois plus souvent et augmentait de moitié la distance qui la séparait du mur. Cela traduit un changement de comportement en réponse à un nouvel obstacle rencontré par la méduse.
Selon Anders Garm, biologiste marin à l’université de Copenhague (Danemark) :
Il est surprenant de voir à quelle vitesse ces animaux apprennent ; c’est à peu près au même rythme que les animaux avancés. Même le système nerveux le plus simple semble capable d’un apprentissage avancé, et il pourrait s’agir d’un mécanisme cellulaire extrêmement fondamental inventé à l’aube de l’évolution du système nerveux.
Pour confirmer que cet apprentissage implique des stimuli visuels et mécaniques, les chercheurs ont isolé les rhopalies des méduses individuellement et leur ont présenté un film simple composé de bandes grises peu contrastées en mouvement. Interprétant ces bandes comme des objets trop éloignés pour avoir de l’importance, les organes des méduses n’ont rien fait, paresseusement. Lorsque le film était accompagné d’une faible décharge électrique, les rhopalies ne percevaient plus les fausses racines de palétuviers aussi éloignées, ce qui les incitait à émettre vigoureusement des signaux de mouvement pour « esquiver » l’obstacle qui se dressait devant elles.
Sachant qu’il faut si peu de neurones et le plus simple des stimuli pour favoriser l’apprentissage associatif chez un animal, les chercheurs espèrent désormais explorer les interactions des nerfs au niveau cellulaire.
L’étude publiée dans Current Biology : Associative learning in the box jellyfish Tripedalia cystophora.