Le premier dispositif permettant de surveiller en temps réel l’état de santé d’un organe transplanté
Un minuscule capteur, dont la taille ne dépasse pas celle du bout d’un doigt, pourrait changer la donne en matière de détection des signes de rejet dans les greffes de rein. Des scientifiques américains de l’université Northwestern ont réussi à créer un dispositif, testé sur des souris, qui peut détecter les signes avant-coureurs d’un rejet de greffe de rein jusqu’à trois semaines avant les méthodes de surveillance actuelles.
Image d’entête : l’ensemble du capteur et de l’électronique connectée est plus petit qu’une pièce d’un quart de dollar américain. (Université Northwestern)
Alors que le corps peut rejeter un organe même des années après une transplantation, donner au patient et aux cliniciens le plus de temps possible pour intervenir peut faire la différence entre le rétablissement de l’homéostasie et le recommencement du processus long et ardu de la transplantation, si tant est que cela soit envisageable. Bien que la course soit lancée pour trouver une source de rein de donneurs, le processus est lent. L’attente pour une greffe est en moyenne de de 3 à 5 ans. Il va donc de soi que la possibilité de surveiller en permanence l’état de santé d’un nouveau et précieux rein changerait la vie des patients.
Ce nouveau dispositif de surveillance, qui ne mesure que 0,3 cm x 0,7 cm et 220 microns d’épaisseur, est conçu pour être placé sur le rein, sous l’enveloppe rénale fibreuse (capsule rénale) qui entoure et protège l’organe. L’implant souple détecte les changements de température liés à une inflammation et à d’autres réactions courantes en cas de rejet précoce. Si un changement est détecté, une alerte est envoyée sans fil à un smartphone ou à une tablette situés à proximité. Le rejet commençant souvent de manière silencieuse, ce dispositif pourrait permettre d’alerter le patient sur des changements importants en l’absence de symptômes révélateurs. Il peut ainsi apporter une tranquillité d’esprit vitale à ceux dont la vie dépend de la réussite de la greffe.
Le dispositif implanté reste en place. (Université Northwestern)
Selon le Dr Lorenzo Gallon, responsable clinique de l’étude et néphrologue spécialisé dans les transplantations à la Northwestern Medicine :
J’ai remarqué que beaucoup de mes patients sont constamment angoissés, ne sachant pas si leur corps rejette ou non l’organe transplanté. Ils peuvent avoir attendu des années avant de recevoir une greffe d’un proche ou d’un donneur décédé. Ils passent alors le reste de leur vie à s’inquiéter de la santé de cet organe. Notre nouveau dispositif pourrait offrir une certaine protection, et une surveillance continue pourrait les rassurer.
Aux États-Unis, plus de 250 000 personnes vivent avec un rein qu’elles n’ont pas reçu à la naissance, et la transplantation elle-même n’est qu’une étape, certes importante, mais minime, de leur parcours. Actuellement, la santé de l’organe est contrôlée par des analyses sanguines qui permettent de suivre les taux de créatinine et d’azote uréique sanguin, mais ces analyses peuvent fluctuer pour des raisons indépendantes les unes des autres et donner lieu à des faux négatifs et positifs. Les biopsies, qui impliquent l’insertion d’une longue aiguille pour prélever des tissus de l’organe, sont invasives et présentent un risque élevé de saignement, d’infection, de douleur et d’endommagement des tissus avoisinants.
Selon Gallon :
Le délai d’exécution peut être assez long, les fréquences de contrôle sont limitées et l’analyse doit se faire en dehors du site. Il faut parfois quatre ou cinq jours pour obtenir les résultats. Or, ces quatre ou cinq jours peuvent s’avérer cruciaux pour prendre une décision opportune concernant les soins à apporter au patient.
À la recherche d’une autre solution, les chercheurs de l’université Northwestern se sont concentrés sur la température en tant que biomarqueur principal du rejet initial de la greffe. Les hausses de température accompagnent généralement l’inflammation, ce que les scientifiques ont constaté dans le modèle animal. Des variations de température de l’ordre de 0,6 °C constituaient des signaux d’alarme précis, annonçant un rejet imminent de l’organe.
Selon le premier auteur, Surabhi Madhvapathy, de l’université Northwestern :
La température des organes fluctue au cours d’un cycle quotidien dans des circonstances normales. Nous avons observé des variations de température anormales et plus fréquentes sur des périodes de huit à douze heures dans les cas de rejet de greffe.
L’appareil est doté d’un thermomètre très sensible, capable de détecter de minuscules variations de température au niveau du rein. Il peut également mesurer le flux sanguin (mais la température s’est avérée plus efficace en tant que système d’alerte précoce). Le capteur souple est relié à un petit ensemble de composants électroniques placé à côté de l’organe. Une pile de pièces de monnaie alimente l’appareil et les fonctions Bluetooth permettent de transférer les données vers des appareils intelligents externes situés à proximité.
Le système électronique est doté d’une batterie à pile bouton et d’un système Bluetooth. (Université Northwestern)
Toujours selon Madhvapathy :
Tous les composants électroniques sont intégrés dans un plastique souple et biocompatible qui est tendre et flexible par rapport aux tissus délicats du rein. L’insertion chirurgicale de l’ensemble du système, qui est plus petit qu’une pièce de 25 cents, est une procédure rapide et facile.
Le positionnement du dispositif sur l’organe, sous la capsule rénale, lui permet de rester en place quelle que soit l’activité physique.
Selon Rogers :
La capsule maintient le dispositif en bon contact thermique avec le rein sous-jacent. Les corps bougent, il y a donc beaucoup de mouvements à gérer. Le rein lui-même bouge. De plus, il s’agit d’un tissu mou sans bons points d’ancrage pour les sutures. Il s’agissait là de défis techniques considérables, mais ce dispositif est une interface douce et transparente qui évite de risquer d’endommager l’organe.
Bien que cette technologie inédite doive encore faire l’objet d’études plus approfondies et d’essais sur l’humain, les scientifiques travaillent déjà à l’amélioration de sa conception afin de permettre le rechargement de sa batterie à pile, de sorte que le dispositif puisse durer toute la vie. Les chercheurs pensent également que le dispositif pourrait être adapté à la surveillance d’autres organes transplantés.
L’un des scientifiques participant au projet, le Dr Joaquin Brieva, a reçu une greffe de rein en septembre 2022 et est parfaitement conscient de l’impact d’un tel dispositif de surveillance en temps réel sur la qualité de vie des patients, il raconte :
Deux jours après ma transplantation, ma fonction rénale était revenue à la normale. Mais on s’inquiète ensuite de la possibilité d’un rejet du rein. C’est pourquoi vous avez ces puissants médicaments anti-rejet et ces stéroïdes. Vous marchez sur la corde raide de l’anxiété au sujet des infections, des complications dues aux médicaments, des divers effets secondaires et du rejet du rein. Vous pouvez gérer une partie de ces inquiétudes en ajustant les médicaments, mais le rejet du rein reste fréquent. Votre rein transplanté est extrêmement précieux. Le fait de disposer de cet appareil serait rassurant. Il peut détecter tout changement soudain dans la greffe de rein et déceler un rejet aigu, qui ne donne actuellement aucun signe d’alerte.
L’étude publiée dans Science : Implantable bioelectronic systems for early detection of kidney transplant rejection et présentée sur le site de l’Université Northwestern : First device to monitor transplanted organs detects early signs of rejection.